Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

Nestor Kirchner prend les rênes de l'Argentine

L'Argentine s'est dotée d'un nouveau président en la personne de Nestor Kirchner. Mais sa victoire, consécutive à l'abandon de son adversaire, l'ex-président Carlos Menem, n'est pas sans poser la question de la gouvernabilité de l'Argentine.

L'arrivée d'un chef de l'État issu des urnes a mis un terme à une parenthèse institutionnelle de dix-sept mois. On se souvient que son prédécesseur, Eduardo Duhalde, n'avait pas été élu, mais désigné par le Congrès le 1er janvier 2002 dans une Argentine au bord du chaos.

Gouverneur de la province de Santa Cruz, le péroniste de centre gauche Nestor Kirchner a été proclamé président de la République argentine le 25 mai pour un mandat de quatre ans. Son adversaire néolibéral, l'ex-président péroniste Carlos Menem, a choisi en effet de renoncer à poursuivre plus avant eu égard à la défaite annoncée par tous les sondages. Son retrait de la course à la présidence a donc rendu inutile le second tour de l'élection présidentielle prévu pour le 18 mai. L'annulation légale du second tour aura toutefois privé M. Kirchner d'un triomphe promis par les enquêtes d'opinion et terni d'emblée son autorité et sa présidence, à laquelle ne sera associé que son résultat de 22 % obtenu au premier tour. Dans ces conditions, le retour au suffrage universel n'a guère paru de nature à garantir la gouvernabilité de la troisième puissance latino-américaine, toujours en proie à une grave crise économique et sociale. Pour le second tour annulé, la plupart des sondages annonçaient, en moyenne, 70 % des suffrages pour Nestor Kirchner contre 30 % à l'ex-président Carlos Menem.

La renonciation de Carlos Menem signifie aussi le triomphe absolu des sondages. En prédisant la défaite de Carlos Menem au second tour, ils l'ont incité au retrait. Les sondages auraient donc été l'un des facteurs décisifs de l'accession d'un candidat – Nestor Kirchner – à la présidence d'un pays démocratique.

Se positionnant au centre gauche, Nestor Kirchner s'est élevé contre les groupes économiques qui ont « dévasté et extorqué » l'Argentine. Il a promis qu'il n'en serait pas la « proie ». Dans son discours de politique générale, M. Kirchner a affirmé le rôle central de l'État dans le développement économique, notamment par la mise en œuvre d'un programme de grands travaux. Il a également promis une lutte « implacable » contre la corruption et s'est prononcé pour un renforcement du Mercosur, le marché commun régional. De son côté, le patronat a adopté une posture attentiste, non sans souligner que le nouveau président devait ressembler le plus possible au chef de l'État brésilien Lula et le moins possible à Hugo Chavez, le président populiste procubain du Venezuela. Plus largement, l'arrivée de M. Kirchner a été reçue avec optimisme dans un pays qui a vécu l'an dernier la pire crise de son histoire. Selon un sondage diffusé par le quotidien Clarin, le gouvernement Kirchner suscite « l'espérance » chez 45,5 % des Argentins et « des attentes de changement » chez 15,5 %. Le même sondage montre que M. Kirchner et son très respecté ministre de l'Économie, Roberto Lavagna, figurent parmi les rares dirigeants jouissant d'une image positive au sein de l'opinion.

Asseoir son pouvoir politique

Arrivée au pouvoir dans un contexte inédit – et elle en a conscience –, la nouvelle administration argentine du président Nestor Kirchner s'est engagée sur un chemin de construction politique peu orthodoxe si l'on s'en tient aux critères argentins. Au point que nul ne peut anticiper le résultat de cette expérience, appuyée sur un caudillisme administratif dont la légitimité serait liée au succès de la gestion. Si, depuis des décennies, la gouvernabilité en Argentine – comme c'est le cas dans presque tous les pays « normaux » – s'est construite par le biais du parti politique qui obtenait les votes nécessaires et par les appuis obtenus – grâce au parti – parmi les législateurs et les gouverneurs, Nestor Kirchner, lui, s'est contenté de l'écharpe et du bâton présidentiels pour se sentir chef d'État et agir en tant que tel. Beaucoup espéraient qu'il en appelle à un gouvernement d'unité nationale, ou que son cabinet reflète une alliance parlementaire et régionale. D'autres candidats auraient probablement procédé plus ou moins de cette dernière manière s'ils avaient gagné les élections. À l'inverse, le président Kirchner a choisi de former un gouvernement de collaborateurs intimes, de ministres hérités de l'administration de transition et de fonctionnaires sans attaches partisanes trop visibles. De fait, très peu d'entre eux pouvaient se prévaloir d'un poids politique avant l'élection présidentielle. Le gouvernement de Nestor Kirchner a donc commencé à diriger le pays sans afficher cette faiblesse originelle. Très vite le nouveau président s'est employé à envoyer un message fort en direction de ceux qui pouvaient douter de sa volonté de s'attaquer aux maux dont souffre l'Argentine – et dont la corruption n'est pas le moindre. Ainsi, M. Kirchner a assurément consolidé son pouvoir en obtenant le départ du président de la Cour suprême, Julio Nazareno, symbole de la corruption effrénée des années 1990. M. Nazareno, qui était sous le coup d'une procédure de destitution par le Parlement, a en effet présenté sa démission. Début juin, M. Kirchner s'en est pris avec virulence à la Cour suprême, et en particulier à M. Nazareno, l'accusant d'avoir « pris en otage la gouvernance du pays » et d'exercer des « pressions » sur son gouvernement. Rappelons que M. Nazareno est un proche de l'ancien président Carlos Menem. Dans le même ordre d'idée, M. Kirchner a décidé d'ouvrir les archives des services secrets sur l'attentat contre la mutuelle juive AMIA, qui avait fait 85 morts et 300 blessés en 1994 à Buenos Aires. « Pour la première fois, un gouvernement argentin a décidé que l'affaire AMIA était une affaire d'État », s'est félicité le président du centre juif, Abraham Kaul. Pour le représentant de la communauté juive argentine, qui compte près de 300 000 membres, « c'est l'une des plus importantes nouvelles » depuis l'attentat, attribué à l'époque à l'organisation terroriste Hezbollah. Une vingtaine de personnes – dont des ex-policiers – avaient été inculpées.