Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

Proche-Orient : Abou Mazen sort de l'ombre

Cadre des premières heures du mouvement national palestinien, Abou Mazen – alias Mahmoud Abbas – s'est très tôt vu confier des responsabilités diplomatiques au sein de l'OLP. Un talent qu'il a développé dans l'ombre de Yasser Arafat et qui lui a valu d'être nommé en mars Premier ministre de l'Autorité palestinienne.

D'une façon assez incompréhensible, lorsque Abou Mazen a accepté le 19 mars de devenir le premier Premier ministre de l'Autorité palestinienne, la presse internationale a parlé d'avènement au pouvoir d'un inconnu. Peu connu, Abou Mazen l'était certes du grand public, qui ne l'avait jamais vu évoluer sur le devant de la scène. Mais les observateurs qui s'intéressent au conflit israélo-arabe avaient plus d'une fois entendu parler de cet homme de l'ombre qui, dès les années 1960, a joué un rôle crucial dans le mouvement national palestinien.

L'emprise du Fatah

Né en 1935 à Safed, au nord de ce qui était alors la Palestine mandataire britannique, le jeune Mahmoud Abbas – qui prendra plus tard le nom de guerre d'Abou Mazen – est contraint à s'exiler en Syrie avec sa famille en 1948, lors de la première guerre israélo-arabe. Vivant dans la pauvreté, exerçant dès l'âge de treize ans des petits métiers pour financer ses études, il devient instituteur avant de partir pour Moscou, où il soutient une thèse de doctorat d'histoire consacrée au sionisme. Au début des années 1960, Mahmoud Abbas vit au Qatar. Membre des premières heures du Fatah (littéralement « Mouvement de libération de la Palestine »), fondé en 1959 au Koweït par quelques étudiants palestiniens exilés et réunis autour d'un jeune ingénieur nommé Yasser Arafat, il est en charge à la fois du recrutement, de la collecte de fonds et des relations avec les services secrets dans les émirats du Golfe. En 1964, il prend part à la création de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), réunion de divers mouvements palestiniens qui sera rapidement dominée par le Fatah.

Dès la fin des années 1970, il est à la tête du département des Relations nationales et internationales de l'OLP. À un moment où celle-ci prône officiellement la « lutte armée » comme « seule voie » devant mener à la « libération totale de la Palestine », Abou Mazen croit déjà à la négociation et consacre toute son énergie à un patient travail diplomatique : obtention de la proclamation du « droit au retour » pour les juifs qui avaient fui le Maroc, le Soudan, l'Irak ou le Yémen depuis 1948, et surtout premiers contacts avec les intellectuels pacifistes israéliens. Cette activité diplomatique, Abou Mazen va la décupler à partir des années 1980. En 1989, il est le principal artisan palestinien des premières rencontres israélo-palestiniennes de Tolède, en Espagne, puis il dirige deux ans plus tard les équipes de négociateurs palestiniens à la conférence de Madrid.

Un artisan de la paix

Lorsque celle-ci s'enlise, il entame des pourparlers secrets en Norvège, qui débouchent sur les accords de reconnaissance mutuelle signés entre Israël et l'OLP à Oslo en 1993. C'est le début d'un « processus de paix » au sein duquel Abou Mazen joue un rôle très actif, au point d'être de plus en plus souvent cité comme successeur potentiel de Yasser Arafat à la tête de l'Autorité palestinienne. Mais le processus de paix capote et débouche, en septembre 2000, sur l'Intifada al-Aqsa. La répression menée par les gouvernements israéliens successifs d'Ariel Sharon, la recrudescence des attentats palestiniens contre des civils déclenchent un engrenage de violence dont Yasser Arafat est tenu responsable par Israël et par les États-Unis. Tenu à l'écart par Ariel Sharon et par l'administration américaine, le président palestinien est contraint d'accepter la nomination d'un Premier ministre. Parce qu'il s'était opposé à plusieurs reprises aux débordements armés de la seconde Intifada – « une erreur, avait-il dit, nuisant à la cause des Palestiniens » –, Abou Mazen est un candidat fortement appuyé par le gouvernement américain. Au printemps 2003, Abou Mazen hérite de la lourde tâche de répondre aux aspirations de son peuple – indépendance nationale sur l'intégralité des territoires occupés lors de la guerre des Six-Jours en 1967, règlement juste et durable de la question des réfugiés –, tout en devant composer avec le gouvernement le plus à droite de l'histoire d'Israël, une administration américaine à nouveau impliquée au Proche-Orient et un Yasser Arafat qui entend garder la plus grande partie possible de son pouvoir. Un conflit entre les deux hommes éclate assez vite. Portant sur le désarmement des milices palestiniennes, et donc sur la possible reprise d'une éventuelle insurrection armée, la querelle se cristallise sur la nomination de Mohammed Dahlan au poste de ministre des Affaires de sécurité.