Kyoto entre deux eaux

Réuni à Kyoto au milieu du mois de mars, le troisième Forum mondial de l'eau a élaboré des pistes concrètes pour mettre l'eau potable et l'assainissement à la disposition de tous.

Ce fut l'une des images les plus diffusées du conflit en Irak, et elle avait aussi sa part d'ironie. Comment oublier ce gamin irakien de Bassora, le visage en pleurs, tendant sa gourde pour quémander à boire, à travers un grillage, à des soldats américains impuissants ? Du 16 au 23 mars, au moment où les premiers missiles Tomahawk pleuvaient sur Bagdad et détruisaient au passage quelques infrastructures hydrauliques irakiennes, plus de 10 000 représentants venus de 160 pays se réunissaient à Kyoto (Japon) à l'occasion du IIIe Forum mondial de l'eau, après ceux de Marrakech (1997) et La Haye (2000).

La manifestation, organisée par le Conseil mondial de l'eau – une structure privée basée à Paris, – s'inscrivait dans la continuité du sommet des Nations unies pour le développement durable de Johannesburg (septembre 2002). À ce titre, elle entendait définir une méthode pour atteindre deux des objectifs affirmés six mois plus tôt en Afrique du Sud : réduire de moitié, à l'horizon 2015, le nombre de personnes privées d'eau potable (elles sont aujourd'hui 1,3 milliard) et celui des individus dépourvus d'assainissement et de sanitaires (2,3 milliards actuellement).

Car la crise de l'eau est telle qu'« elle menace plus d'êtres humains que les armes de destruction massive », remarque William Cosgrove, vice-président du Conseil mondial de l'eau. On estime ainsi que 7 millions de personnes, dont 2 millions d'enfants, meurent chaque année de maladies dues à la contamination de l'eau. De plus, « 30 % de la population mondiale n'a pas assez d'eau », poursuit William Cosgrove. « En 2025, ce sera 50 %. En un siècle, la population mondiale a triplé, et les hommes, en particulier dans les pays riches, utilisent sept fois plus d'eau que naguère. À ce rythme, la planète ne pourra bientôt plus en fournir suffisamment ».

Une question d'infrastructures

À ces problèmes quantitatifs s'ajoutent de fortes inégalités de répartition. Si des pays comme l'Australie, le Brésil, la Russie ou ceux d'Europe occidentale n'ont pas à craindre pour l'avenir, le monde arabe est dans une situation particulièrement préoccupante, avec quatre des cinq pays les plus pauvres en eau. La palme revient sans doute à la bande de Gaza, avec seulement 52 m3 disponibles par an et par habitant (1 700 m3, en moyenne, seraient nécessaires), et la nappe phréatique y est si surexploitée qu'un affaissement est survenu, produisant une infiltration de l'eau de mer dans la nappe d'eau douce. Seule l'adduction peut alors remédier à ce type de situations, mais elle est coûteuse. Ainsi, un Africain sur deux souffre du manque d'eau, non pas parce que le continent est globalement touché par la sécheresse, mais parce que personne n'y a encore financé les infrastructures nécessaires pour acheminer ou conserver l'eau qui s'y écoule : l'Afrique a cent fois moins de capacités de stockage que les États-Unis. Il existe en la matière un sous-investissement chronique. D'après la Banque mondiale, le secteur de l'eau ne compte que pour 5 % des investissements réalisés sur l'ensemble de la planète, à comparer aux 11 % drainés par l'énergie et aux 52 % engloutis par les télécommunications. Et l'eau ne bénéficie que de 57 milliards de fonds publics annuels, soit à peine 3 % de l'aide publique au développement. Autant d'insuffisances relevées dans un rapport sur le « financement des infrastructures mondiales d'accès à l'eau », que Michel Camdessus, ancien directeur du FMI, a rendu public au début du mois de mars à Paris. Pour celui-ci, l'équipement hydraulique « est un problème de terrain, qui se pose différemment selon les cultures ». S'il requiert un investissement international massif, notamment de la part du secteur privé, sa bonne organisation suppose aussi l'intervention de nombreux acteurs parapublics locaux.

Un impôt mondial de solidarité ?

À l'opposé de ces préoccupations, et comme il est désormais coutume, plusieurs dizaines d'ONG, réunies sous la bannière de l'« altermondialisation », ont organisé leur forum alternatif à Florence (Italie), les 21 et 22 mars. Dénonçant le rapport Camdessus, qui entérine selon elles la « privatisation » de l'adduction et de l'assainissement de l'eau à travers le monde, elles ont notamment plaidé en faveur d'un impôt mondial de solidarité, appelé à financer la gratuité de l'eau potable dans les régions les plus pauvres de la planète. Cette idée n'a cependant pas fait l'unanimité. « C'est un mauvais calcul de parler de l'eau gratuite », souligne ainsi Olivier Longué, directeur d'Action contre la faim Espagne. « Les initiatives qu'on met en place dans les villages quand on fore un puits sont souvent payantes, ce qui permet de garantir une durabilité, sinon personne n'entretient les pompes financées par tel ou tel programme et elles sont inutilisables au bout de deux ans. »