De débat juridique, l'arrêt Perruche, rendu le 17 novembre 2000 par la Cour de cassation, et qui indemnise un enfant né porteur d'un handicap à la suite d'une faute médicale, est devenu débat législatif et débat de société sur le handicap tout au long de l'année 2001 et jusqu'en 2002.

L'arrêt Perruche

Paul Benkimoun
Journaliste au Monde

D'un côté, certains ont dénoncé un jugement revenant à indemniser l'enfant du « préjudice d'être né ». L'arrêt introduirait, selon eux, une discrimination entre les handicapés nés après une faute médicale, pouvant à ce titre obtenir une indemnisation pour eux-mêmes, et ceux pour lesquels ce ne serait pas le cas et qui devraient donc se contenter de ce que leur verse la solidarité nationale. À l'inverse, leurs opposants défendent une décision qui « permettra à l'enfant de vivre, au moins matériellement, dans des conditions plus conformes à la dignité humaine sans être abandonné aux aléas d'aides familiales, privées ou publiques », ainsi que le précisait l'arrêt de principe de la Cour de cassation. Le débat a paru être conclu avec la loi du 4 mars 2002, dite « loi Kouchner sur les droits des malades ». Résultant d'un amendement proposé par Jean-François Mattei, l'article premier de ce texte vise à mettre un terme à la jurisprudence Perruche, en affirmant notamment que « nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance ».

« Une faute médicale »

En 1999, la cour d'appel d'Orléans rejette l'indemnisation.

L'affaire Perruche remonte à 1982. Enceinte, Josette Perruche est atteinte d'une rubéole, une maladie bénigne pour l'adulte, mais susceptible d'entraîner de graves malformations congénitales chez l'enfant. Elle demande à son médecin de pratiquer des examens pour savoir si le fœtus est touché et lui fait part de son intention de demander un avortement si tel est le cas pour ne pas prendre le risque de mettre au monde un enfant handicapé. Après trois séries d'analyses, le médecin rassure Mme Perruche, qui est encore dans les délais légaux de l'interruption volontaire de grossesse (IVG). La grossesse va donc à son terme et, le 13 janvier 1983, Nicolas Perruche naît. Dans les mois qui suivent, l'enfant présente des troubles neurologiques graves, une surdité, une maladie de la rétine et une atteinte cardiaque. Un expert les attribue à la rubéole de sa mère. Les parents Perruche assignent en justice le médecin qui a suivi la grossesse et le laboratoire d'analyses biologiques.

Ils obtiennent gain de cause le 13 janvier 1992 devant le tribunal d'Évry (Essonne), qui reconnaît l'existence d'une faute médicale. En conséquence, le tribunal accorde des indemnités à M. et à Mme Perruche. L'existence d'une faute est confirmée par la cour d'appel de Paris, le 17 décembre 1993, mais cette instance conteste l'existence d'un préjudice pour l'enfant : « Les séquelles dont [il] est atteint ont pour seule cause la rubéole que lui a transmise in utero sa mère. » Les parents de Nicolas Perruche se pourvoient en cassation. Le 26 mars 1996, considérant que dans ce dossier les fautes médicales « sont génératrices du dommage subi par l'enfant du fait de la rubéole de sa mère », la première chambre civile de la Cour de cassation cassait l'arrêt de la cour d'appel de Paris et renvoyait l'affaire devant la cour d'appel d'Orléans. Mais celle-ci rejetait à son tour en 1999 l'indemnisation de Nicolas Perruche. D'où un nouveau pourvoi en cassation en son nom.

Le « besoin indemnitaire »

La Cour de cassation examina l'affaire, le 3 novembre 2000, dans le cadre d'une assemblée plénière. Pour les parents de Nicolas et leur avocat, la cour d'appel d'Orléans avait adopté une position revenant, « de manière totalement paradoxale, à priver de toute réparation la principale victime, à savoir l'enfant » (le Monde des 5 et 6 novembre 2000). À l'opposé, l'avocat général, Jerry Sainte-Rose, fustigeait ce qu'il appelait le « besoin indemnitaire ». À ses yeux, le handicap était la conséquence de la seule rubéole. Tenir le handicap pour une conséquence directe des fautes médicales « puisque sans celles-ci il n'y aurait pas eu d'infirmité car le fœtus aurait été avorté » reviendrait à reconnaître que « la suppression du malade était la seule méthode envisageable pour éviter la maladie ». Pour l'avocat général, condamner les médecins à indemniser l'enfant handicapé conduirait « tout droit à justifier l'euthanasie, la mort miséricordieuse ». Selon lui, les praticiens seraient dès lors incités à proposer un avortement « devant le plus léger doute ».