Journal de l'année Édition 2003 2003Éd. 2003

Nouvelle vague de contestation dans les campus iraniens

La condamnation à mort le 6 novembre de Hachem Aghadjari, un intellectuel proche du président Khatami, accusé d'avoir osé évoquer l'idée d'un « protestantisme » de l'islam, a enflammé une nouvelle fois les campus des universités iraniennes.

Les tentatives de réforme ont été nombreuses dans l'histoire du monde musulman, et la république islamique d'Iran, issue de la révolution conduite par l'ayatollah Khomeyni en 1979, en constitue un exemple encore bien vivace, même si le régime iranien, enfermé dans ses contradictions, ne semble plus porté par le vent de la réforme. Pourtant, de la réforme au « protestantisme » de l'islam, il y a un pas, théologique et idéologique, qu'a osé franchir l'intellectuel Hachem Aghadjari et qui l'a conduit en prison.

Les mollahs contestés

Particulièrement sourcilleuse pour tout ce qui touche au dogme de la révolution islamique, la justice iranienne, entièrement contrôlée par les éléments les plus conservateurs du clergé chiite au pouvoir à Téhéran, a sanctionné l'audace de l'universitaire qui avait cru pouvoir contester l'omniscience des mollahs, qui plus est en empruntant ses références à l'histoire du christianisme, en prononçant sa condamnation à mort le 6 novembre. La sentence de mort a été assortie d'une peine de prison de sept ans et de 74 coups de fouet et... pour bien montrer que le ridicule peut tuer, d'une privation de dix ans du droit d'enseigner ! M. Aghadjari, qui a perdu une jambe durant la guerre contre l'Irak, n'a pourtant pas le profil d'un dissident. Mais il est l'un des dirigeants de l'Organisation des moudjahidines de la révolution islamique (à ne pas confondre avec les Moudjahidines du peuple, un mouvement armé d'opposition au régime iranien basé à Bagdad) qui appartient à la mouvance réformatrice conduite par le président Mohammad Khatami, réélu en juin 2001. C'est ce dernier que les conservateurs ont voulu atteindre en faisant arrêter M. Aghadjari, au mois d'août, lors d'une conférence à huis clos. Les propos de l'universitaire, qui appelait à ne pas suivre aveuglément les enseignements du clergé, ont été dénoncés comme une insulte à l'islam par les éléments les plus durs parmi le camp conservateur, où cette condamnation à mort a jeté aussi la consternation. Mais c'est surtout dans les campus des universités iraniennes que la décision de justice a suscité une levée de boucliers, dont l'ampleur a sans doute surpris les durs du régime islamique. La condamnation prononcée contre M. Aghadjari se voulait exemplaire, et avait vocation à intimider les partisans de M. Khatami, tout en accordant le beau rôle au Guide de la république et réel détenteur du pouvoir, l'ayatollah Ali Khamenei, qui seul a la capacité de commuer la sentence de mort en peine de prison, une grâce dont il avait déjà usé en faveur du hodjatoleslam Hassan Youssefi Echkevari, qui avait vu sa peine capitale pour insulte à l'islam commuée en sept années d'emprisonnement. Les manifestations qui, depuis, agitent presque quotidiennement les universités des grandes villes iraniennes, et plus particulièrement Téhéran, ont contrarié ce scénario.

Les bassidji sur le pied de guerre

Les revendications estudiantines, en prenant un tour nettement politique, allant jusqu'à la remise en cause des fondements de la république islamique, ont illustré la fracture toujours plus accentuée entre le pouvoir et une société civile qui ne se reconnaît plus dans les luttes de clan aux enjeux troubles entre des conservateurs arc-boutés sur le dogme khomeyniste et sur leurs privilèges et des réformateurs qui ne cessent de l'appeler à la patience dans l'attente d'hypothétiques réformes. Tandis que se profile le spectre d'une réédition des manifestations de Téhéran de l'été 1999, qui avaient été étouffées au prix d'une brutale répression qui avait fait officiellement trois morts et entraîné 1 500 arrestations, le pouvoir cherche à tout prix à éviter que le mouvement ne se propage cette fois à la rue iranienne. Les bassidji (les mobilisés), cette milice islamique créée en 1979 par l'ayatollah Khomeyni pour protéger le nouveau régime et qui serait composée de plusieurs millions de membres, sont sur le pied de guerre pour canaliser le mouvement à l'intérieur des campus et en empêcher la propagation au sein de la population. Dans un contexte international marqué par la guerre contre le terrorisme lancée par les États-Unis, dont le président G.W. Bush a inscrit en janvier l'Iran au nombre des trois pays composant « l'axe du mal », aux côtés de l'Irak et de la Corée du Nord, l'ayatollah Ali Khamenei n'a eu aucun mal pour ressortir la rhétorique du « complot » fomenté par les puissances étrangères « ennemies » avec l'aide des « perturbateurs » étudiants. Mais plus que cette rhétorique usée, c'est la lassitude de la population qui pourrait étouffer dans l'œuf le mouvement de contestation. La population est fatiguée de la révolution et de la guerre et les hésitations du président Khatami à appliquer des réformes pour lesquelles elle l'a presque plébiscité lors des deux scrutins présidentiels ont brisé la vague d'espérance qui l'avait animée. Un an et demi après sa réélection en juillet 2001, les chances d'amender le système se sont réduites aux yeux d'une opinion iranienne désabusée et en proie à des difficultés économiques croissantes. Plus qu'un mouvement organisé, ce sont des flambées d'agitation incontrôlées, nées des frustrations accumulées pendant des années, qui risquent de déstabiliser le régime, avec tous les dangers que cela signifie pour la paix civile.