Journal de l'année Édition 2003 2003Éd. 2003

Irak : les bonnes résolutions

L'ONU l'a votée, Bagdad l'a acceptée. Le débat autour de la résolution 1 441 sur le désarmement irakien aura autant illustré la guerre de position menée par les États-Unis au sein de la communauté internationale que celle conduite par cette dernière à l'égard de l'Irak.

Le président George W. Bush n'a pas attendu les attentats du 11 septembre pour exprimer sa volonté d'« en finir avec Saddam Hussein ». Cet objectif s'inscrit dans la logique forgée à Washington selon laquelle le danger qui menace le gendarme du monde menace le monde dans sa totalité. Il remonte à la guerre du Golfe, menée par le père de l'actuel occupant du bureau ovale, événement contemporain de la disparition du « deuxième Grand », l'URSS. Après le 11 septembre, le danger irakien a simplement fait l'objet d'une réinterprétation de la part des États-Unis. Sanctuaire d'Oussama Ben Laden, l'Afghanistan constituait une cible parfaitement lisible dans le cadre du combat engagé par les États-Unis contre l'« axe du Mal ». Mais Washington n'a jamais apporté la preuve d'un quelconque lien entre l'Irak et al-Qaïda. C'est donc au nom du danger potentiel que l'Irak ferait peser sur le monde, du fait de la détention présumée d'armes de destruction massive, et de l'aide qu'il pourrait apporter au terrorisme international, poussé par son antiaméricanisme viscéral, que le régime de Saddam Hussein doit être détruit.

Effet perturbateur

S'il n'avait tenu qu'à eux, les États-Unis se seraient bien passés de l'ONU. L'état de légitime défense, que l'ONU a reconnu à Washington après le 11 septembre, ne justifiait-il pas à lui seul une intervention ? Le débat a été serré, tant au sein de l'administration américaine qu'entre les alliés. Une fois la nécessité d'obtenir l'onction onusienne admise par Washington, les modalités d'une action contre l'Irak restaient à définir. Les approches étaient diamétralement opposées. Les États-Unis souhaitaient faire adopter une résolution légitimant son intervention armée. L'objectif des Nations unies était d'aboutir au désarmement de l'Irak prévu par la résolution 687 d'avril 1991, votée au lendemain de la guerre du Golfe. Le contrôle de ce désarmement avait été interrompu par le retrait des inspecteurs de l'ONU, en décembre 1998.

Or en août, Bagdad a invité le chef de la commission de contrôle du désarmement de l'Irak (Unmovic), Hans Blix, à « préparer une reprise de la coopération » – la résolution 1 284 adoptée en décembre 1999 exige le retour inconditionnel en Irak des inspecteurs de l'ONU. L'effet perturbateur recherché par Bagdad ne s'est pas fait attendre. Tandis que le vice-président américain, Dick Cheney, évoquait l'application de la « doctrine de la prévention » à l'encontre du régime irakien, le président Jacques Chirac présentait la position française : « On voit poindre la tentation de légitimer l'usage unilatéral et préventif de la force, déclarait-il. Cette évolution [...] est contraire à la vision de la sécurité collective de la France, [...] qui repose sur la coopération des États, le respect du droit et l'autorité du Conseil de sécurité. » Si Bagdad refuse le retour des inspecteurs de l'Unmovic, « il faudra que le Conseil de sécurité, et lui seul, soit en mesure de décider les mesures à prendre », ajoutait-il.

Une approche en deux temps

En septembre, quelques jours après le débat sur la crise irakienne devant l'Assemblée générale de l'ONU au cours duquel le président Bush avait prévenu que « les exigences justes de paix et de sécurité seront appliquées, ou l'action sera inévitable », le gouvernement de Bagdad a déclaré accepter le « retour des inspecteurs en désarmement de l'ONU en Irak sans condition ». Dès lors, les États-Unis n'ont eu de cesse d'exiger l'adoption d'une résolution renforçant le contrôle du désarmement irakien et prévoyant un recours automatique à la force en cas de violation. De son côté, la France s'en tenait à l'application de « la 1 284, toute la 1 284, rien que la 1 284 ! ». Chacun a réduit ses prétentions. La France s'est contentée d'exiger que la guerre contre l'Irak ne se fasse pas sans l'aval de l'ONU. Les États-Unis ont fini par admettre l'« approche en deux temps » prônée par Paris : deux résolutions plutôt qu'une, la première fixant les nouvelles règles du régime de contrôle du désarmement irakien, la seconde, en cas de violation de ces règles, autorisant éventuellement un recours à la force. Le 8 novembre, le Conseil de sécurité a adopté à l'unanimité la résolution 1 441 qui prévoit un régime d'inspection renforcé et impose à Bagdad de fournir dans les trente jours la liste de ses programmes d'armements. Placée sous le chapitre VII de la Charte de l'ONU qui autorise de recourir à la force pour la faire respecter, la résolution charge toutefois le Conseil de sécurité de la suite à donner à une violation de ses obligations par l'Irak. Le 12, en guise d'exutoire des passions nationalistes, le Parlement irakien a rejeté la résolution 1 441 qui lui était soumise, au cours d'une séance très médiatisée. Le lendemain, le gouvernement irakien l'a acceptée sans réserve, indiquant toutefois qu'il relèverait les éventuelles « mauvaises intentions » des inspecteurs de l'ONU.