Journal de l'année Édition 2003 2003Éd. 2003

« Un autre monde est possible »

New York accueillait, du 31 janvier au 3 février 2002, l'élite de l'économie et des finances mondiales dans le cadre du Forum économique international, organisé jusque-là à Davos. Au même moment, Porto Alegre avait donné rendez-vous aux détracteurs de la mondialisation pour la deuxième édition de son Forum social international.

Tétanisés par les attentats du 11 septembre 2001, qui les a forcés à mettre un bémol à leurs diatribes anti-américaines et à ménager les États-Unis engagés dans une guerre totale contre le « Mal », les mouvements antimondialisation ont gardé un temps un profil bas. Le climat sécuritaire était peu propice à de vastes mobilisations telles que Gênes en avait connu en juillet, lors du sommet de l'OMC. Mais cette bienveillante discrétion a vite atteint ses limites, soulignées par la politique unilatéraliste de l'administration Bush. L'attitude de celle-ci, arc-boutée sur ses seules préoccupations militaires et stratégiques, a rapidement ranimé les vieilles hostilités.

Le symbole de New York

Le Forum économique international de New York a donc été l'occasion pour les détracteurs du nouvel ordre mondialisé de battre le rappel des troupes. D'autant que le choix de New York pour cette 31e édition de ce grand rendez-vous mondial du gotha économique et financier revêtait une dimension de symbole. Il était plus tentant de porter la lutte contre la mondialisation au cœur même de la capitale de la finance mondiale, siège des grands temples du FMI ou de la Banque mondiale, que sur les alpages de Davos. Pourtant, alors que l'immense terrain vague où s'élevaient les tours jumelles du World Trade Center demeurait comme une plaie béante au cœur de Manhattan, il eut été maladroit d'y organiser un contre-sommet, dont d'éventuels dérapages risquaient de se retourner contre les anti-mondialisation. Prévenues, les autorités new-yorkaises avaient développé un dispositif de sécurité impressionnant autour de l'hôtel Waldorf Astoria où se réunissaient les hôtes du sommet.

Plutôt que de croiser le fer à New York, les militants anti mondialisation ont préféré se donner rendez-vous au sud du Brésil. Pour la deuxième année consécutive, la ville de Porto Alegre relevait le défi de la mondialisation triomphante en accueillant un Forum social international consacré aux luttes contre le libéralisme et le libre-échangisme, et proclamant qu'« un autre monde est possible ». Créé et organisé par une municipalité qui expérimente la démocratie participative sous la conduite du parti des Travailleurs, le Forum de Porto Alegre s'est imposé, dès sa deuxième édition, comme une institution de l'antilibéralisme. À quelques mois des élections présidentielles brésiliennes, mais aussi française, le forum de Porto Alegre s'est même laissé aller à quelques mondanités. Sa réunion a donné lieu à de véritables opérations de relations publiques de la part de personnalités venues chercher au Brésil la caution des leaders de la lutte contre la globalisation libérale comme José Bové.

Dialogue de sourds

Au-delà des mots et des symboles pourtant, ces deux forums concomitants n'auront pas vraiment contribué à développer ce fameux dialogue Nord-Sud qui figure en toile de fond de toutes les grandes rencontres internationales. Si, de New York à Porto Alegre, la relation entre les pays du Nord et ceux du Sud a été au centre des discussions, c'est un dialogue de sourds qui résonnait d'un bout à l'autre du continent américain. Tandis que New York, on réaffirmait sa foi dans la mondialisation libérale, en se contentant de la souhaiter « plus sociale et plus juste », on redisait à Porto Alegre son attachement à la taxe Tobin, au commerce équitable, à l'effacement de la dette des pays pauvres ou encore à la lutte contre les OGM. Ces discours diamétralement opposés convergeaient pourtant pour critiquer le Fonds monétaire international, placé au banc des accusés à New York comme à Porto Alegre, bien que sur des chefs d'accusation radicalement différents. Pour les participants du Forum social de Porto Alegre, la faillite économique de l'Argentine voisine est un exemple parmi d'autres des erreurs du FMI que certains, comme le Français Jean Pierre Chevènement, ont appelé à supprimer. Si cette proposition n'a pas été sérieusement prise en considération par les ténors de l'économie et de la finance mondiale réunis à New York, les modes d'intervention du gendarme financier du monde ont été âprement discutés à partir du même exemple de l'Argentine, qui a survécu grâce aux perfusions du FMI jusqu'au mois de décembre 2001 avant de s'effondrer dès l'arrêt des aides internationales. Les États-Unis, dont dépend en grande part le FMI, ne veulent plus entendre parler des plans de sauvetage qui, de l'Asie au Mexique, ont marqué la décennie 1990. Et si l'administration Bush est décidée à bousculer les règles de fonctionnement du FMI, c'est dans le sens d'un plus grand libéralisme encore et en fonction des seuls intérêts stratégiques des États-Unis. La preuve de cette orientation avait été donnée par la nomination, le 1er septembre 2001, comme numéro deux du FMI de l'économiste ultraconservatrice Anne Krueger, favorable au renforcement de la sélection dans l'octroi des aides.