La description de l'amour, éternel thème littéraire, se complaît plus que jamais à insister sur un éphémère tragique, et parfois sordide. Ainsi, sous un titre racoleur, Faire l'amour, Jean-Philippe Toussaint accompagne son narrateur et sa compagne dans un voyage au Japon dépourvu d'exotisme et peuplé de redoutables hommes d'affaires, où va se jouer la débâcle affective et érotique d'un couple. L'inévitable échec est souligné par les brisures du style, si caractéristiques de l'écriture contemporaine, et qui se retrouve dans d'autres arts, tels que la peinture ou la musique, comme si toute inspiration artistique était aujourd'hui d'abord sensible aux dissonances et aux terreurs qu'elles évoquent. Dans le bruit et la fureur du langage de la Main du scribe, Bertrand Leclair s'insurge contre une séparation paradoxalement voulue et refusée. Leslie Kaplan (les Amants de Marie) se contente pour sa part de faire caracoler son héroïne de rencontres en rencontres, laissant entrapercevoir l'angoisse de vivre sans certitude : « Sa vie défilait, chaos, chaos... » Le discours amoureux par bribes se retrouve dans le livre mesuré de Christian Oster : Dans le train, où un homme suit une femme dont il a porté le sac jusqu'à un hôtel. Cependant, une facture plus traditionnelle, où la nostalgie l'emporte, non sans charme, peut encore apparemment séduire des lecteurs non professionnels, et c'est le cas d'Un soir au Club de Christian Gailly, qui reçut le prix du livre France Inter. C'est une rencontre amoureuse et sans lendemain autour d'un piano pour un pianiste de jazz reconverti.

Sur une mélodie plus soutenue, le beau livre d'Éric Holder, Hongroise, où la rupture est l'occasion pour son personnage central, un jeune médecin, de redécouvrir la « beauté de vivre », fait exception au désespoir à la mode. Ce serait vrai aussi, mais dans une dimension en partie initiatique et onirique, de ce livre (au fond, inclassable) qu'est Retour définitif et durable de l'être aimé d'Olivier Cadiot, présentant une quête multiforme de l'être aimé, sans pour autant que le héros devenu sourd parvienne à entendre la dernière voix rêvée.

Épopée

La perpétuation de la littérature antillaise avec Patrick Chamoiseau

Ce genre romanesque, si séduisant pour nombres de lecteurs, ne saurait entièrement disparaître, mais se présente rarement sous sa forme classique, sinon en se référant à un passé, historique ou imaginaire, où l'exploit était encore possible. C'est le cas du livre de Gilles Lapouge, la Mission des frontières, dans lequel on cherche à planter une stèle aux sources du Rio Negro, entre terrains conquis par le Portugal et l'Espagne en Amérique dite latine. Épopée encore que les aventures du jeune marquis Aventino de Cortanze, parti d'une Italie stendhalienne des années Bonaparte pour suivre la route de l'opium et du thé. Cette fois, il s'agit d'un prix Renaudot attribué à Gérard De Cortanze pour Assam, son troisième volet des aventures, assurément romancées, de ses ancêtres. L'épopée peut se soumettre à une forme d'inversion dans laquelle il faudrait alors inclure le Dondog d'Antoine Volodine, qui nous entraîne, en affirmant bien haut une écriture nouvelle, dans les terres désolées d'un goulag planétaire, assurément évocateur de l'univers concentrationnaire, malédiction née au siècle précédent. Ici, l'antihéros, ou héros négatif, ne survit que par une perte de mémoire continuelle, une forme d'indifférence aux événements extérieurs, sans qu'il puisse éviter d'être exterminé à son tour. Si ce livre est tout entier consacré à l'effacement de l'être humain, celui de Jean Ferniot, Ce soir ou jamais, s'interroge sur la confrontation avec le mal par l'entremise d'un général allemand constatant les horreurs du IIIe Reich et l'enfer de Stalingrad. Quant à l'épopée minimale, mais savoureuse, elle serait sans doute celle que raconte Vassilis Alexakis, Grec d'origine et Français d'adoption, dans les Mots étrangers, où, parti pour Bangui, il apprend le sango, langue vernaculaire de Centrafrique, et par la musique de ce langage, il lui semble renaître, au milieu de la splendeur de la vie. Mais la véritable et la plus inventive épopée est l'œuvre de Patrick Chamoiseau qui perpétue la tradition de la littérature antillaise, terre d'élection du foisonnement langagier, dans son énorme Biblique des derniers gestes. En plusieurs étapes, nous suivons la vie gigantesque de M. Balthazar Bodule-Jules, de cet homme de toutes les luttes qui « voulait seulement se battre contre les colonialistes et apaiser une vieille douleur ».

Littérature étrangère

Les seules tendances que l'on peut alors dégager reflètent le choix des éditeurs. Notons, à ce propos, que le prix Nobel de cette année, l'écrivain hongrois Imre Kertesz, était, à l'exception de quelques spécialistes, pratiquement inconnu des grandes maisons d'édition.