Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Le terrorisme : mal chronique du xxie siècle ?

L'attentat du 11 septembre 2001 marque l'apogée d'un type de terrorisme qui est pratiqué depuis des décennies, et non pas le début d'une ère de terrorisme de destruction de masse, et encore moins l'émergence d'une « guerre » nouvelle comme on l'a entendu dire un peu partout.

Lorsque la secte Aum Shirinkyo déversa un gaz toxique dans le métro de Tokyo en 1995, les experts annoncèrent le commencement d'une nouvelle ère dans le terrorisme, celle des armes de destructions massives, comprenant les armes bactériologiques et nucléaires. Dans le court terme tout au moins, cette analyse s'est révélée fausse. Et, six ans plus tard, l'attentat terroriste le plus spectaculaire de l'histoire sera d'un classicisme des plus déconcertants. Sur un plan technologique, on ne pouvait agir avec plus de sobriété qu'en recourant à l'arme blanche. Quant aux détournements d'appareils de l'aviation civile par des terroristes, c'est une pratique qui remonte à plusieurs décennies. Les attentats suicides ont également cours depuis de nombreuses années.

Des moyens globalement modestes

Ce qui frappe n'est donc pas la nature des moyens entrepris mais les résultats accomplis. Et, même si les auteurs des attentats avaient derrière eux une bonne organisation et des fonds importants, les moyens restent globalement très modestes. Ce qui finit par compter, c'est la valeur symbolique que représente Manhattan en feu. Manhattan, cœur de cette Amérique qui constitue l'unique superpuissance en ce début de IIIe millénaire. Psychologiquement, le coup ne pouvait être plus rude. Le terrorisme est l'arme psychologique par excellence. En cette belle journée de fin d'été, quelques hommes décidés sont parvenus à mettre un moment K.O. le pays le plus puissant de la planète.

Conséquence non négligeable de cet événement, les dirigeants américains sont obligés d'effectuer un revirement complet dans le domaine de la politique étrangère. Dès son arrivée à la Maison-Blanche en début d'année 2001, le nouveau président, pour des raisons tant de personnalité que de conviction politique, s'orientait vers l'isolationnisme. Durant les premiers mois de sa présidence, George W. Bush donne le ton par une série de décisions qui irritent la communauté internationale, tant sur le plan stratégique, avec le projet de défense antimissile qui remet en question toute la stratégie nucléaire élaborée durant la guerre froide, que sur les questions relatives à l'environnement, avec le refus de signer la convention de Kyoto. Cette politique est plus facile à élaborer en théorie. Sur le terrain, les choses sont plus complexes.

Vers la fin du repli

Obligé d'organiser la riposte contre l'ennemi désigné, Oussama Ben Laden, et contre l'Afghanistan taliban qui le protège, le président se voit contraint de faire appel à divers alliés : Européens, Russes –, Israéliens et aussi Égyptiens, Pakistanais et Saoudiens. Dans le cadre du renseignement sur les réseaux terroristes, le gouvernement américain est tenu de mener une campagne diplomatique auprès de pays comme la Syrie ou le Soudan, dont certains figurent même sur cette liste officieuse des pays « voyous », contre lesquels est destinée la mise en place du bouclier nucléaire. De repliée et condescendante, l'Amérique de Bush se retrouvait donc brusquement en position de demandeuse. S'il avait suffi d'une bombe pour faire taire le colonel Kadhafi, la nouvelle tâche semblait plus complexe. Si l'armée américaine avait remporté magistralement la bataille de la propagande durant la guerre du Golfe, elle se retrouvait en position de faiblesse face à la surprenante habileté médiatique des taliban. Si la bataille aérienne avait réussi à résoudre le conflit au Kosovo, les frappes aériennes sur l'Afghanistan se révélaient rapidement insuffisantes pour accomplir les objectifs du gouvernement américain. En matière de confiance en soit, pilier fondamental de la culture américaine, l'Amérique suit un mouvement comparable aux cycles économiques. Les attentats du 11 septembre avaient entamé cette confiance comme le firent naguère d'autres événements ponctuels comme l'envoi dans l'espace du Spoutnik (par l'URSS) dans les années 1960, le retrait du Viêt Nam et le Watergate dans les années 1970 ou l'explosion de la navette spatiale dans les années 1980. Les années 1990 avaient été globalement épargnées, ce qui rendait les attentats du 11 septembre d'autant plus douloureux pour une population vivant dans l'illusion d'une sécurité quasi absolue. Or, globalement, que représente le problème du terrorisme aux États-Unis, et de manière générale en Occident ? Loin d'affirmer le bien-fondé de la contestable thèse du « choc des civilisations », loin de démontrer la faiblesse des sociétés industrielles et démocratiques, le terrorisme constitue le prix à payer pour des sociétés ouvertes et globalement saines mais qui évoluent dans un monde inégal et injuste. Bien plus qu'une manifestation extrême de la religion, le terrorisme islamique est la démonstration de l'impuissance de sociétés incapables de suivre le mouvement de croissance industrielle engendré par les grandes puissances économiques et les pays ayant choisi la voie libérale. C'est, à grande échelle, le même problème que celui de l'intégration de certaines minorités dans les pays industrialisés dont les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne. Si aucun État au monde, a fortiori des groupes armés privés ou semi-privés, n'est en mesure d'attaquer l'Amérique de front, il reste donc la méthode de la stratégie indirecte, seule manière aujourd'hui de provoquer une brèche dans la formidable armure des États-Unis.

Arnaud Bun

La stratégie indirecte

La stratégie indirecte, qui repose sur des objectifs essentiellement psychologiques, n'a en fait guère plus qu'une capacité de nuisance, mais qui est d'autant plus frustrante pour les victimes qu'il est impossible de l'éradiquer, même si l'on parvient à détruire certains réseaux – ce qui est déjà difficile. Au xxie siècle, le terrorisme pourrait devenir un mal chronique dont il faudra s'accommoder et qui, après d'autres continents, atteint une Amérique protégée dans ses terres depuis l'invasion britannique de 1812 au cours de laquelle la Maison-Blanche avait disparu sous les flammes, avant de renaître de ses cendres.