Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Le sommet de la violence à Gênes

Le sommet du G8 organisé à Gênes en juillet restera comme celui de la violence. La mort d'un jeune manifestant marque à la fois les limites de ce type de réunion internationale et celles du mode de contestation utilisé par les opposants antimondialisation.

Les chefs d'État et de gouvernement des sept pays les plus industrialisés plus la Russie (G8), ainsi que le président de la Commission européenne, ont entamé leur sommet annuel, le 20 juillet, dans le Palais ducal de Gènes, par une réunion au cours de laquelle ils ont réaffirmé que le maintien de politiques budgétaires strictes et la défense du principe de libre-échange étaient les conditions nécessaires au développement de la croissance mondiale et donc au bien-être de chacun. Au même moment, des milliers de manifestants antimondialisation tentaient de pénétrer la « zone rouge » protégeant le lieu de réunion du G8. Les premiers estimaient que « le ralentissement de l'économie mondiale a été plus prononcé que prévu au cours de l'année écoulée, [mais que] les fondamentaux économiques restent sains et devraient fournir une base solide pour une expansion renouvelée » ; les seconds affirmaient que, hors de la libéralisation et de la mondialisation, « un autre monde est possible », comme ils le proclament depuis leur première démonstration de force, à Seattle en décembre 1999.

À l'assaut du « mur »

Cette fois-ci, les anti-G8 étaient rassemblés au sein du Forum social de Gênes (GSF), qui regroupait un millier d'organisations : syndicats, mouvements sociaux, associations contre la dette du tiers-monde ou contre la libéralisation du commerce, mouvements écologistes ou pacifistes. Le GSF avait prévu d'organiser des débats et des manifestations dans la capitale ligure, en marge de la réunion du G8.

Si son porte-parole, Vincenzo Agnoletto, prônait l'action non violente, chacun savait que le GSF regroupait des formations plus ou moins radicales et que des « casseurs » tenteraient de s'infiltrer dans les manifestations. Alors que, la veille, la marche pour la défense des droits des immigrés s'était déroulée sans incidents, la manifestation du 20 partie à l'assaut du « mur » abritant les conciliabules des Huit a vite pris une allure plus violente. Tandis que quelques centaines de jeunes radicaux, pour la plupart des anarchistes du « Black Block » en guerre contre la « propriété », dévastaient les rues du centre-ville, les forces de l'ordre ont brutalement réprimé les tentatives des partisans antimondialisation de s'approcher de la « zone rouge ». Le drame est survenu en fin d'après-midi. Un carabinier pris de panique a ouvert le feu sur un jeune punk italien qui s'attaquait à la Jeep dans laquelle il se trouvait : Carlo Giuliani a été tué sur le coup d'une balle dans la tête. Consternés, les membres du G8 ont aussitôt appelé à « isoler les violents et les extrémistes », évoquant la manifestation prévue pour le lendemain. La part semblait donc faite, officiellement, entre les « casseurs » et les manifestants du GSF. Peu avant le drame, le président Jacques Chirac avait d'ailleurs déclaré : « 120 000 ou 150 000 personnes ne se dérangent pas s'il n'y a pas quelque chose qui leur a mobilisé le cœur et l'esprit. Je ne dis pas qu'ils ont raison ou tort – ce n'est pas le problème –, mais c'est qu'il y a une angoisse, une difficulté, et ça, on ne peut pas le laisser comme si ça n'existait pas. » Le lendemain, 21 juillet, les forces de l'ordre ont brutalement réprimé la manifestation qui rassemblait près de 200 000 personnes dans les aies de la ville, avant de s'en prendre, tout aussi violemment, la nuit suivante, au siège du GSF. On relèvera quelque 150 blessés.

« Un excès dans l'usage de la force »

Les jours suivants, l'opposition a mis en cause le gouvernement de Silvio Berlusconi dans les violences policières, exigeant notamment la démission du ministre de l'Intérieur, Claudio Scajola. En réponse, ce dernier a accusé le GSF d'avoir couvert les agissements des « casseurs ». De son côté, le président du Conseil a rejeté sur le précédent exécutif de centre gauche la responsabilité de l'organisation du maintien de l'ordre lors du G8. Le 24 juillet, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans les grandes villes italiennes contre les brutalités policières du sommet de Gênes. Le gouvernement a finalement accepté la création d'une commission d'enquête parlementaire sur le sujet. Le ministre de l'Intérieur a sanctionné trois hauts fonctionnaires, dont le chef de la police de Gêne ; et le chef de la police italienne, Gianni De Gennaro, a admis, « dans certains cas, un excès dans l'usage de la force » et, « dans d'autres cas, épisodiques et individuels, des comportements illégaux » de la part des forces de police. Une information judiciaire sera finalement ouverte à rencontre d'une vingtaine de policiers.