Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Belgrade envoie Milosevic sur le banc des accusés à La Haye

Après neuf moi de tergiversations, la Yougoslavie accepte de livrer Slobodan Milosevic au TPI de La Haye, où il comparaît pour une première audience le 3 juillet.

Si ce transfert expéditif provoque une crise politique à Belgrade, soulignant les désaccords entre le président Kustunica, favorable à un procès de Milosevic en Serbie, et le Premier ministre serbe Djindjic, maître d'oeuvre de son extradition, la population serbe semble en général indifférente et pressée de reconstruire le pays en tournant la page d'une histoire peu glorieuse.

Menottes aux mains

Le 28 juin, les téléspectateurs de Serbie et du monde entier ont pu voir les images insolites d'un Slobodan Milosevic traîné menottes aux poignets dans la prison de Scheweningen du TPI de La Haye où il est arrivé dans la nuit, aussitôt après que le gouvernement de Zoran Djindjic eut décidé de le livrer. Une fin de parcours chargée de ces symboles que l'ex-président yougoslave âgé de cinquante-neuf ans, battu aux élections de septembre 2000 après avoir exercé un pouvoir sans partage durant treize années, voyait se retourner contre lui, lui qui en avait fait son fonds de commerce nationaliste. Par une ironie, bien calculée, de l'histoire, Milosevic a été livré au TPI le jour de la fête de Vidovdan et date emblématique de l'histoire du peuple serbe, dont elle symbolise la résistance et la renaissance depuis ce 28 juin de l'an 1389 qui vit le prince Lazare perdre une bataille décisive à Kosovo Polje (Champ des Merles) face aux Ottomans. C'est sur le site de ce champ de bataille que Milosevic avait gagné, douze ans avant, ses galons de leader nationaliste.

Minés par des difficultés économiques dues en grande part à l'ostracisme auquel le maintien en Serbie de l'ex-président inculpé par le TPI condamnait leur pays, les Serbes s'étaient prépares à la perspective d'un transfert de Milosevic depuis son arrestation le 1er avril à Belgrade, où il attendait d'être jugé pour abus de pouvoir et malversations. Une distance judiciaire et politique énorme séparait pourtant la prison centrale de Belgrade de celle de La Haye, et Zoran Djindjic n'a pas hésité à la franchir, malgré l'opposition du président Vojislav Kustunica. Car ce dernier a eu beau dire, depuis son élection, que Milosevic « n'est pas une priorité » pour lui, il ne s'en est pas moins imposé comme une encombrante « priorité » pour le pays, compromettant ses relations avec l'Occident et ses perspectives de développement économique, toujours conditionnées, malgré la démocratisation en cours, par une collaboration avec le TPI.

Pressions financières

Alors que, le 25 janvier, Kustunica opposait une fin de non-recevoir à la demande d'extradition formulée par le procureur du TPI, Carla Del Ponte, en visite à Belgrade, le ministre de la Justice évoque déjà une « loi sur la coopération » avec le TPI. Dans le même temps, la pression financière s'accroît sur la Yougoslavie, et l'arrestation de Milosevic au terme d'un assaut contre sa résidence de Belgrade est saluée le lendemain par une aide américaine de 50 millions de dollars ; un appât lancé par le principal bailleur de fonds qui se dit prêt à donner bien davantage si Milosevic est livré. Le 9 mai, lors de sa première visite à Washington, Kustunica se montre plus enclin à coopérer avec le TPI. Reste à faire voter le projet de loi gouvernemental en ce sens par le Parlement, où la DOS, qui ne dispose que d'une majorité relative, se heurte le 19 juin à l'opposition du Parti socialiste populaire (SNP, monténégrin), proche de Milosevic. Retiré du Parlement, le texte est adopté par décret le 23 juin par le gouvernement, qui joue une course contre la montre avec la conférence prévue le 29 juin à Bruxelles des bailleurs de fonds de la Yougoslavie. C'est à la veille de cette conférence que Milosevic est livré à La Haye par les autorités yougoslaves, qui passeront outre l'avis de la Cour constitutionnelle. Mais cette entorse à la Constitution ne jettera dans la rue que quelques milliers de manifestants, pour soutenir Milosevic. Sans doute le sentiment est-il répandu à Belgrade que l'ancien président a été acheté par Washington et le caractère expéditif de son transfert provoquera une crise politique. Mais, pour la majorité des Serbes, Milosevic appartient à un passé peu glorieux qu'il faut oublier et qui a plongé leur pays dans la misère. Le TPI ne devrait donc pas ériger en martyr ni en défenseur de la cause serbe Milosevic, qui y comparaissait pour la première fois le 3 juillet pour plaider non coupable. Mais les Serbes auraient tort de considérer la prison de La Haye comme des oubliettes. Chaque minute à venir d'un procès dont l'acte d'accusation a été élargi de la guerre du Kosovo à celles de Bosnie et de Croatie devrait leur rappeler un passé dont ils ne peuvent se considérer comme les seules victimes, comme le leur ont d'ailleurs signifié les images des charniers de civils albanais exhumés près de Belgrade. Mais encore faut-il qu'après les bombardements de l'OTAN, la diabolisation et l'embargo, et aujourd'hui le travail de mémoire, la conscience collective serbe réconciliée avec elle-même et avec le monde ne sorte pas trop meurtrie d'une justice internationale embryonnaire qui a évité les fourches caudines à tant d'autres dirigeants déchus ou en exercice... La politique des deux poids deux mesures que sont soupçonnés d'appliquer les puissances occidentales et en tout premier lieu les États-Unis n'a pas fini de hanter aussi la salle d'audience de La Haye, théâtre d'une justice soupçonnée d'être trop sélective...

Gari Ulubeyan

Milosevic... et les autres

Le décret relatif à la coopération avec le TPI ne concerne pas le seul Milosevic. Il ouvre la voie à une série d'extraditions visant aussi des « étrangers », autrement dit ceux des 38 criminels de guerre en fuit inculpés par le TPI et qui ont sévi dans Republika Srpska (République serbe de Bosnie), comme Radovan Kardzik ou Ratko Mladic. Aussitôt après Belgrade, les autorités de la République serbe de Bosnie ont d'ailleurs annoncé leur intention de coopérer avec La Haye. Belgrade assure être en mesure de livrer 16 autres criminels de guerre. C'est notamment le cas du président de Serbie Milan Milutinovic.