Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Une construction européenne en perte de légitimité ?

Le « non » irlandais à la ratification du traité de Nice et les violences qui ont davantage marqué le sommet de Göteborg que son maigre bilan politique risquent de peser sur la dynamique de l'élargissement de l'Union européenne.

La construction européenne, telle que les Quinze ont imaginé de la poursuivre à Nice, survivra-t-elle à ce mois de juin paroxystique ? « Non » ont répondu les Irlandais appelés à se prononcer par référendum le 8 juin, quant à la ratification du traité sur l'élargissement de l'Union européenne. Une semaine après ce vote de sanction, près de 15 000 militants « antimondialisation » sont également venus, lors du sommet des 15 et 16 juin à Göteborg en Suède, manifester pacifiquement, pour la plupart, leurs inquiétudes face à une « Europe coupée des citoyens ».

Des forces de l'ordre débordées

Mais le monde entier a aussi pu contempler le triste spectacle d'échauffourées survenues entre des groupes de « casseurs » et des forces de l'ordre débordées. Bilan : une quarantaine de blessés – l'un d'entre eux grièvement par les balles d'un policier, des centaines de commerces saccagés et pillés. À Göteborg, l'Europe ne pouvait donner d'elle-même image plus catastrophique : celle de dirigeants démocratiquement élus obligés de se barricader face à la rue pour faire avancer ce que les « europhiles » considèrent comme le seul projet politique capable de proposer une alternative démocratique et sociale à une mondialisation économique débridée et souvent brutale.

Un projet que ne refusent d'ailleurs pas, en tant que tel, les électeurs de Dublin comme les manifestants de Göteborg. Il n'y avait pas d'europhiles plus convaincus que les Irlandais. Les électeurs qui se sont déplacés le 8 juin estiment que l'élargissement et l'approfondissement programmés de l'UE mettront fin à cet âge d'or. Il est significatif et paradoxal que les partisans du « non » se soient surtout mobilisés autour de trois thèmes, dont aucun n'est vraiment abordé dans le traité de Nice : la fin de la sacro-sainte neutralité de l'Irlande à travers son implication dans la politique de défense européenne, les projets d'harmonisation fiscale au niveau de l'Union et la perspective pour le pays de devenir contributeur net du budget européen en 2006. Le résultat du référendum irlandais exprime donc autant un égoïsme national mal placé que les inquiétudes d'un « petit pays » devant une intégration européenne plus poussée.

Contrairement à 1992, lorsque les électeurs danois avaient rejeté le traité de Maastricht, avant que leur pays obtienne une clause d'exemption sur la monnaie unique et la défense européenne, il paraît difficile de modifier le traité de Nice pour complaire aux électeurs irlandais dans la mesure où leur vote n'a que très peu à voir avec ce dernier. D'où la fermeté affichée par le tandem Chirac-Schröder à Fribourg le 12 juin : le « non » irlandais ne changera rien au calendrier de l'élargissement.

Les discussions de Göteborg se sont ouvertes dans ce climat délétère et n'ont pas apporté de véritables solutions. La présidence Scandinave avait fait de l'élargissement sa principale priorité et caressait l'espoir d'arracher un accord sur une date butoir pour la fin des négociations, fixée à la fin 2002. Une ambition contrecarrée par des pays comme la France et l'Allemagne au motif qu'il serait péremptoire de fixer une telle échéance pour un objectif politique incertain : nul ne sait, en effet, si les pays candidats seront effectivement prêts à cette échéance, alors que les négociations agricoles – certainement les plus ardues – n'ont même pas débuté. Une situation que reflètent les ambiguïtés contenues dans la déclaration finale du Conseil européen, qui précise que « les négociations pourraient être clôturées d'ici la fin 2002 pour les pays candidats qui sont prêts », sans toutefois préciser ce qu'il entend par « prêts », Lionel Jospin et le chancelier Gerhard Schröder ont eu beau souligner que cette formulation ne signifie en aucun cas que 2002 constitue « une date butoir », le Premier ministre tchèque Milos Zeman et son homologue polonais Jerzy Buzek ont visiblement compris le contraire, ce dernier s'estimant désormais en mesure de « mentionner aux [Polonais] une date avant laquelle l'UE entend achever les négociations, ce qui pourra aider à la compréhension ».

Un « grand débat public » ?

Les Irlandais seront-ils aussi compréhensifs ? De Göteborg, les « Quatorze » leur ont adressé un message, lui, sans ambiguïté : pas question de revenir sur le processus de ratification du traité de Nice. Le Premier ministre Bertie Ahern est donc reparti avec l'assurance que le Conseil européen l'assisterait « par tous les moyens possibles » pour trouver une issue. Les Irlandais seront donc rappelés à voter sur le traité, a priori en l'état, autour de la fin 2002. Et cette fois, le Premier ministre irlandais a promis d'organiser une vraie campagne, par le lancement d'un grand forum national où tout un chacun pourra s'exprimer. Seul électorat populaire parmi les Quinze à avoir été consulté sur le traité de Nice, les Irlandais seront peut-être, ainsi, les premiers à ouvrir le « grand débat public sur l'avenir de l'Europe » censé combler le fameux « déficit démocratique » dont l'Union a tant de mal à se départir.