Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Chine – États-Unis : la crise diplomatique de l'avion espion

Dimanche 1er avril, un avion espion américain, l'EP-3E qui surveillait les manœuvres d'un destroyer chinois au large des côtes de la Chine méridionale, et un chasseur chinois F-8 entrent en collision. Le pilote de l'avion chinois est porté disparu. L'équipage de l'avion américain, contraint d'atterrir, est retenu sur l'île de Hainan.

Immédiatement, le président américain George Bush exige que la Chine autorise des diplomates américains à se rendre sur place. La Chine se braque et exige des excuses. Derrière une guerre des mots : un test majeur dans les relations entre les États-Unis et la Chine.

L'EP-3E ? Un bijou de technologie. Sa mission réside dans l'interception de communications radio et de signaux électroniques. Il est pour cela équipé d'un gros radar sous le fuselage. Sur le déroulement exact des faits, les interprétations diffèrent. Pour les Chinois, l'avion espion a pénétré sans autorisation dans le ciel chinois et a fait un brusque virage vers le F-8. Selon Washington, l'EP-3E, qui volait dans l'espace international a été harcelé par l'avion chinois et son pilote Wang Wei, aujourd'hui disparu.

La Chine demande des « excuses »

Dès le départ, la volonté affichée par les États-Unis est claire : récupérer l'avion espion sur lequel les Chinois aimeraient faire main basse. Pour ces derniers, c'est en effet un cadeau tombé du ciel. Les données intactes permettraient à l'Armée populaire de libération de connaître ses points forts et faibles dans la zone stratégique de la côte est, juste en face de Taïwan. Au bout de trois jours, l'attaché militaire américain à Pékin est autorisé à rendre visite aux 24 membres de l'équipage retenus sur une base de l'île, qu'il trouve en bonne santé et bien traités.

La Chine, refusant catégoriquement d'enterrer l'« incident », exige des Américains qu'ils reconnaissent leurs torts et « présentent des excuses au peuple chinois ». Elle en fait une condition de la libération de l'équipage. Sur Internet, l'antiaméricanisme des Chinois fait rage et la « cyberguerre des nerfs » est déclarée. Pour le président Jiang Zemin, les Américains portent « l'entière responsabilité de la collision » et doivent absolument cesser ces vols d'espionnage près des côtes chinoises. Une manière de mettre « petit Bush » (le surnom du président des États-Unis en Chine) à l'épreuve du jeu international. « L'avion américain n'aurait jamais dû virer sur sa gauche alors qu'il était flanqué de deux chasseurs chinois », commente le président Zemin. Répondant aux accusations de l'ambassade des États-Unis selon lesquelles l'avion aurait été intégralement fouillé, la Chine met en avant sa position de « victime » et fait savoir qu'elle entend bien « mener son enquête sur cette affaire ». Les experts militaires confirment d'ailleurs que conformément à la convention de Chicago, qui leur confère « le droit d'inspection douanière ou autre », les Chinois sont dans leur droit en fouillant l'appareil. Outre l'« incident », le dossier des armes américaines qui doivent être vendues ce même mois à Taïwan explique l'intransigeance de Pékin.

Les regrets américains

Côté américain, cet incident traduit un changement de stratégie politique et a valeur de test pour le président Bush. Alors qu'un Bill Clinton voulait faire de la Chine un « partenaire stratégique », le nouveau président voit au contraire en Pékin un « adversaire stratégique ». Même si, en coulisses, les négociations diplomatiques s'accélèrent, pas question donc d'admettre une quelconque responsabilité dans la collision, pas question non plus d'adresser des excuses, « notre avion opérait dans l'espace aérien international et les États-Unis n'ont rien fait de mal », a précisé le secrétaire d'État Colin Powell. Lui et le président Bush ont simplement exprimé des regrets, quant à la disparition du pilote chinois. De jour en jour, les 23 membres de l'équipage sont perçus comme « otages » de Pékin et le souci de les ramener au pays devient la priorité. Ces regrets ont tout de même été interprétés favorablement par les autorités chinoises, qui ont fait savoir que cela représentait un pas « dans la bonne direction en vue d'un règlement de cette question ». Alors que les visites aux « otages » se multiplient, une première décrispation se produit grâce aux échanges diplomatiques devant favoriser la mise en place d'une commission d'enquête sur les conditions de l'accident. C'est finalement sur une subtilité de langage que se règle la crise. Des regrets, les autorités américaines se sont résolues à reconnaître qu'elles étaient « désolées » puis « vraiment désolées ». Après onze jours de détention, les 24 otages sont donc finalement libérés. Quant à l'avion espion, ce n'est que trois mois après la collision qu'il a regagné sous forme de pièces détachées le sol américain de Géorgie.