Crash mortel pour Concorde

Seul avion supersonique commercial au monde, symbole de luxe et vitrine de la technologie franco-britannique, le Concorde n'avait jamais connu d'accident mortel en plus d'un quart de siècle d'exploitation. La catastrophe aérienne du 25 juillet souligne de manière dramatique la fragilité de l'appareil et pose la question de son avenir commercial.

Le 25 juillet, cinquante-six secondes après qu'il s'est élancé sur la piste de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, la tour de contrôle signale à l'équipage du Concorde d'Air France à destination de New York la présence de flammes sous l'aile gauche de l'appareil. L'avion ne peut plus interrompre son décollage. Une fois en l'air, le mécanicien navigant coupe le moteur numéro deux qu'il croit être en feu. Le pilote annonce qu'il se déroute sur l'aéroport proche du Bourget pour s'y poser. Peu après, une baisse de puissance du moteur numéro un est constatée. L'appareil entame alors une demi-boucle, mais il devient incontrôlable et perd de l'altitude. Il s'écrase sur un hôtel de Gonesse, dans le Val-d'Oise. Il est 16 h 45. Des débris de l'appareil, 109 corps – ceux des 100 passagers et des 9 membres d'équipage – sont retirés ; 5 autres corps sont dégagés des ruines calcinées de l'hôtel. Le ministre des Transports, Jean-Claude Gayssot, demande la suspension des vols Concorde d'Air France et annonce l'ouverture d'une enquête judiciaire. C'est le premier accident de ce type d'un Concorde depuis le vol inaugural du supersonique le 2 mars 1969.

« Un enchaînement d'événements »

Air France avait récemment signalé des micro-fissures sur les ailes de quatre des six appareils Concorde de la compagnie, mais son P-DG, Jean-Cyril Spinetta, assure que l'appareil accidenté n'en présentait aucune. Ce Concorde avait près de 12 000 heures de vol, ce qui n'est pas excessif. Il était entré en service le 23 octobre 1980, mais avait « subi un certain nombre d'opérations d'entretien dont une grande visite terminée le 30 septembre 1999 » ainsi que des visites de contrôle réglementaires les 28 avril et 21 juillet 2000.

Se fondant sur les enregistrements des boîtes noires, le rapport du Bureau enquête-accidents (BEA), chargé des investigations techniques sur le crash du Concorde, commence par mettre en cause le moteur numéro deux du supersonique, dont une pièce avait été remplacée juste avant le départ. Au début du mois d'août, le BEA révèle que l'origine de l'incendie signalé par la tour de contrôle à l'arrière de l'appareil « paraît être extérieure aux moteurs », mais celle-ci n'est pas encore déterminée. L'enquête privilégie toutefois l'hypothèse de l'éclatement d'un pneu au moment du décollage, qui aurait pu entraîner « un enchaînement d'événements, des dégâts sur la structure, un incendie et une panne de la motorisation ». L'explosion de pneumatiques n'est pas un incident exceptionnel en aéronautique. En revanche, il est tout à fait anormal qu'un pneu éclaté produise des débris du type de ceux qui ont été retrouvés sur la piste après l'accident, dont un pèse environ 4 kilos. La découverte, parmi les débris retrouvés sur la piste de décollage, d'une lamelle métallique d'une quarantaine de centimètres de longueur n'appartenant pas au Concorde relance l'enquête. Si cette lamelle est à l'origine de l'accident, cela exclut l'hypothèse d'une éventuelle défaillance technique de l'appareil.

L'ensemble des éléments mis au jour après plus d'un mois d'enquête permet d'établir le scénario probable du crash, qui doit servir à mettre au point de nouvelles règles de sécurité avant toute reprise des vols Concorde. « L'accident du 25 juillet a montré que la destruction d'un pneu – événement simple dont on ne peut affirmer qu'il ne puisse se reproduire – a eu des conséquences catastrophiques dans un délai très bref sans que l'équipage soit en mesure de rétablir la situation », indique le BEA, qui insiste sur les incertitudes pesant encore sur l'enchaînement des avaries. En conséquence, les enquêteurs recommandent aux autorités anglaises et françaises de maintenir la suspension des certificats de navigabilité des Concorde « en attendant qu'aient été mises en place des mesures appropriées garantissant un niveau de sécurité satisfaisant en ce qui concerne le risque lié aux pneumatiques ». Car si l'enchaînement reste inexpliqué, l'origine du drame, elle, ne fait plus de doute. Neuf secondes après que l'appareil a atteint la vitesse à laquelle le pilote ne peut plus stopper la procédure de décollage, le pneu avant droit du train principal gauche explose en projetant de lourds débris, vraisemblablement après avoir roulé sur une pièce métallique. Cette lamelle appartiendrait à un autre appareil ayant décollé avant le Concorde. « Selon un processus qui reste à déterminer, des dommages ont alors été causés très rapidement, à un ou plusieurs réservoirs de l'aile gauche, avec comme conséquence une très importante fuite de carburant et l'incendie », mais, ajoute le BEA, « la séquence d'endommagement et les liens entre les différents événements ne sont pas encore totalement établis ».

Un scénario encore incomplet

Le scénario reste cependant incomplet, puisque les experts aéronautiques ne peuvent établir avec certitude la cause de la défaillance du moteur numéro un. Au début de septembre, les enquêteurs révèlent qu'une pièce similaire à la lamelle métallique à l'origine de l'éclatement d'un pneu du supersonique manque sur un DC10 de la compagnie américaine Continental Airlines ayant transité par Roissy peu avant l'accident.