Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

Mexique : le parti révolutionnaire institutionnel passe la main

L'élection présidentielle mexicaine du 2 juillet a été marquée par la défaite du Parti révolutionnaire institutionnel, au pouvoir depuis 1929. Le candidat de droite, Vicente Fox, a été élu sur la foi de son slogan : « Changement ! » Le PRI, qui avait déjà perdu la majorité parlementaire lors des élections législatives de 1997, demeure toutefois le premier parti représenté au Parlement.

Le parti-État de la Révolution a été défait par les urnes. Au pouvoir à Mexico depuis soixante et onze ans, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) a perdu l'élection présidentielle, un rituel qui ne représentait pour lui qu'une simple formalité depuis 1929. Le 2 juillet, c'est en effet le candidat de la droite libérale, Vicente Fox, qui a remporté le scrutin à un seul tour, avec l'aide d'une partie de l'opposition de gauche. Il a obtenu 42,5 % des voix contre 36,6 % pour le candidat du PRI, Francisco Labastida, et 16,6 % pour le candidat de gauche du Parti de la révolution démocratique (PRD), Cuauhtemoc Cardenas.

À l'annonce des premiers résultats, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues pour clamer leur joie. Les scènes de liesse se sont poursuivies durant toute la nuit. « C'est la fin de notre mur de Berlin », commentait un manifestant, encore sous le coup de l'émotion. La comparaison peut paraître excessive. Et pourtant, sans être assimilable aux ex-démocraties populaires d'Europe de l'Est ni aux régimes militaires qui ont longtemps sévi en Amérique latine, le pouvoir instauré par le PRI pouvait, non sans raison, être qualifié de « dictature parfaite » par l'écrivain péruvien Maria Vargas Llosa.

Seule idéologie : le maintien au pouvoir

Les choses avaient en effet considérablement évolué depuis la naissance, en 1929, du Parti national révolutionnaire qui deviendrait Parti de la révolution mexicaine en 1938 puis enfin, au prix d'un délicieux oxymore, Parti révolutionnaire institutionnel en 1946. En 1929, le futur PRI était parvenu à unifier autour d'un projet étatique les artisans d'une révolution qui s'était dévoyée en guerre civile depuis qu'elle avait provoqué la chute du dictateur Porfirio Diaz, en 1910. Cheville ouvrière d'un nouveau Mexique dont il allait moderniser les structures administratives, sociales et économiques, il se dotait dans le même temps de tous les attributs du parti unique que sont l'hégémonisme, la corruption, la fraude et la violence politique. Le PRI s'est ainsi peu à peu confondu avec l'État, l'armée, la police, les syndicats et la grande industrie, dont les postes de direction étaient obligatoirement pourvus par des responsables issus des rangs « priistes ».

Le PRI n'a jamais défendu de ligne politique bien déterminée. « De gauche le matin, du centre à midi et de droite le soir », selon un dicton, il a été socialiste dans les années 1930, avant de devenir libéral et pro-américain par la suite. Sa seule idéologie : le maintien au pouvoir. Usant tour à tour de la répression et de la corruption, et fort de cette souplesse idéologique, il est parvenu à désamorcer toute contestation organisée pendant des décennies, en créant au besoin de toutes pièces une opposition de pure forme. Créé en 1939, le Parti d'action nationale (PAN), formation du président Vicente Fox et premier parti d'opposition véritable au PRI, n'est jamais parvenu à dépasser 15 % des voix pendant cinquante ans. Représentant les classes moyennes et certains milieux catholiques, qualifié de « réactionnaire » par le PRI, il faisait office de « parti témoin » lors des consultations électorales. L'opposition de gauche est quant à elle née en 1989 du regroupement de nombreux groupuscules, sous l'égide de Cuauhtemoc Cardenas et de Porfirio Munoz Ledo – tous deux transfuges du PRI – et sous le nom de Parti de la révolution démocratique. L'année précédente, les fraudes lors de l'élection présidentielle avaient vraiment fait scandale.

Les années 1980 ont également été celles de l'ouverture au monde du pays, de sa désétatisation et de sa libéralisation économique. Gérée par le PRI, cette ouverture a toutefois eu pour conséquence de faire échapper à son emprise des pans entiers de ce qui faisait son pouvoir. L'œuvre courageuse du dernier président priiste, Ernesto Zedillo, pour cela qualifié de traître par les « dinosaures » de son parti, aura été d'étendre cette libéralisation au système politique, ce qui devait rendre possible l'alternance. Il aura notamment assuré la totale autonomie de l'Institut fédéral électoral, faisant de cette élection présidentielle le premier scrutin véritablement libre de l'histoire du pays. « Pour la première fois de leur histoire, les Mexicains ne savent pas quel sera leur prochain président », commentait un observateur à la veille du scrutin. Dès l'annonce des résultats, le président Zedillo a reconnu la défaite du PRI et a félicité Vicente Fox. Tous les dirigeants politiques mexicains lui ont rendu hommage... à l'exception de la secrétaire générale du PRI, Dulce Maria Sauri, qui a présenté sa démission.

« Changement ! »

Vicente Fox, dont le programme pli-tique est des plus flous, a remporté l'élection sur la seule foi de son slogan : « Changement ! ». Pour de nombreux électeurs, ce mot signifiait non seulement la fin d'un régime usé par des décennies de pouvoir absolu, mais aussi la fin de la pauvreté, du chômage, de la défaillance des systèmes sociaux, de l'insécurité, du trafic de drogue, autant de fléaux qui minent la société mexicaine malgré la réussite économique que connaît le pays. Rassemblée derrière l'un des fondateurs du PRD, Porfirio Munoz Ledo, une partie de la gauche a préféré privilégier le « vote utile », après l'échec de la négociation en vue de la présentation d'une candidature unique de l'opposition PAN/PRD. C'est cette alliance qui avait permis, en 1997, de ravir au PRI la majorité au Parlement, pour la première fois depuis 1929. En échange de leur allégeance, Vicente Fox a entériné un catalogue d'engagements à caractère social et a promis de ne pas privatiser l'industrie pétrolière, symbole de l'indépendance du pays.

Une victoire partielle

La victoire de Vicente Fox n'est que partielle. Le PRI demeure le premier parti représenté au Parlement où il dispose encore d'une majorité relative. Au terme des élections législatives qui se déroulées le même jour que le scrutin présidentiel, le PRI a obtenu 209 sièges sur 500 à la Chambre des députés, contre 208 pour le PAN et 53 pour le PRD. Au Sénat, la primauté du PRI est encore plus nette. Au Parlement, le PAN peut compter sur le soutien des écologistes, mais il lui manquera encore des voix pour atteindre la majorité qualifiée nécessaire à l'adoption de certaines mesures. Le président élu devra donc trouver des compromis avec d'autres forces politiques. Il semble, paradoxalement, que Ernesto Zedillo soit plus enclin à l'aider que Cuauhtemoc Cardenas, qui a refusé le principe d'une participation au PRD au « gouvernement pluriel » proposé par Vicente Fox...