Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

Le président Fujimori prolonge son mandat

Le président Fujimori a imposé aux Péruviens un troisième mandat consécutif, à la suite d'un processus électoral entaché par de nombreuses irrégularités. Mais il a également obtenu de l'Organisation des États américains (OEA) un véritable blanc-seing de crédibilité, assorti toutefois de quelques propositions pour « consolider la démocratie » et renforcer l'État de droit.

Les élections générales péruviennes ont été très contestées et marquées par de nombreux coups de théâtre. À la suite d'un second tour accidenté, avec un pourcentage d'abstention très élevé (32 %), inconnu dans un pays où le vote est obligatoire, et qui s'explique en grande partie par le refus de participation prôné par le chef de l'opposition, le président Alberto Fujimori, el chino (le Chinois, un terme qui évoque son origine japonaise), devenu candidat unique, a été reconduit pour cinq ans à la tête de l'État.

Ainsi, le gouvernement sortant a réussi à mobiliser jusqu'aux urnes un électorat pauvre et facilement malléable, grâce aux subsides distribués directement par la présidence (près de 40 % du budget de l'État), qui alimentent un réseau de clientèle étendu et qui sont les seuls palliatifs à une misère grandissante. Ce sont les Péruviens les plus pauvres, les moins instruits et les plus éloignés des grands centres urbains qui ont constitué le gros des bataillons du président candidat. Mais c'est surtout le contrôle exercé sur l'ensemble des institutions de l'État et de l'armée, et qui est assuré directement par le chef de l'exécutif et ses hommes de main, qui permet davantage d'expliquer cette victoire. Le « système Fujimori », caractérisé par la centralisation et la concentration du pouvoir politique, par la surveillance de la population et des organisations sociales et syndicales et par la mainmise sur la presse et les médias, a ainsi fonctionné presque parfaitement. Après les élections, et malgré les résultats peu satisfaisants du premier tour, le président est même parvenu à se constituer d'ores et déjà une majorité parlementaire suffisante, grâce à l'achat des sièges aux représentants élus par les votes des partis de l'opposition, qui se sont vendus sans le moindre scrupule.

Une décennie après son arrivée au gouvernement et malgré la chute de sa popularité, dans un contexte de forte récession économique, le président Fujimori demeure une personnalité sui generis dans la vie politique péruvienne. Enfant d'immigrés japonais, universitaire éloigné des élites traditionnelles du pays et personnage relativement discret (malgré quelques déboires conjugaux), il a su garder l'image d'un « homme de terrain », proche des gens, même si sa présence n'a pratiquement pas permis d'améliorer leur sort. Amateur de petites phrases assassines destinées à ses adversaires, il est passé maître dans l'art de dresser ses propres partisans les uns contre les autres et de se séparer à temps des alliés encombrants. Convaincu qu'il est en train d'« inventer le nouveau Pérou », il a avoué ne pas s'imaginer vivre en ancien président.

Mais son maintien au pouvoir ne s'explique pas seulement par les traits de sa personnalité ou par le contrôle des institutions. Le régime peut également exhiber quelques succès, constamment brandis par la propagande officielle, qui cachent autant d'échecs. La stabilisation monétaire et la maîtrise de l'hyperinflation n'ont été obtenues que par la baisse brutale du pouvoir d'achat de la majorité des habitants. La stabilisation de l'État, après la crise de la fin des années 80, et la défaite partielle de la guérilla du « Sentier lumineux » se sont traduites par le recul de la vie politique, par la pratique disparition des partis et par l'absence d'alternance et d'alternatives crédibles. La relance économique, stimulée par la libéralisation commerciale et financière et par l'investissement étranger, a creusé les écarts dans la distribution des richesses : 60 % de la population (estimée à 26,6 millions d'habitants) vit désormais au-dessous du seuil de pauvreté.

Le candidat du « Pérou possible »

Malgré ces ombres au tableau, le président s'apprêtait à faire jouer ses atouts et à prolonger son mandat sans grande difficulté. Signe de la période, la contestation n'est pas venue des partis existants. Bien qu'il ne soit pas un « homme nouveau » en politique, l'économiste Alejandro Toledo, el cholo (l'Indien métissé, une appellation qu'il revendique), crédité d'à peine 3 % des voix au début du processus, a su donner, un peu comme M. Fujimori en 1990, l'image d'un leader proche des citoyens, et est arrivé à articuler l'ensemble de l'opposition autour de sa candidature.