Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

Les conservateurs iraniens contre-attaquent

Proportionnelle à l'ampleur de la défaite subie le 18 février au premier tour des législatives, la réaction des conservateurs frappe de plein fouet la presse libérale, principal véhicule des réformes engagées par le président Khatami. En avril, 13 journaux pro-démocratie sont suspendus, des journalistes traduits devant une justice contrôlée par les conservateurs, qui déploient par ailleurs tous leurs efforts pour rogner des sièges à la nouvelle majorité, en remettant en cause certains résultats du scrutin législatif. Cette contre-offensive s'accompagne d'une campagne visant à ruiner les efforts du président Khatami pour améliorer l'image de l'Iran, comme en témoigne le procès de 13 Juifs accusés d'espionnage.

Laminée par les législatives du 18 février, dont le premier tour a accordé une large majorité au Parlement aux partisans du président Mohammad Khatami, la faction conservatrice au pouvoir en Iran n'a pas tardé à réagir, pour tenter de mettre au pas une société civile naissante qui se prenait à croire en l'avenir des réformes. Alors que le scrutin législatif avait insufflé une bouffée d'air frais au paysage politique iranien marqué depuis trois ans par la lutte d'influences que se livrent réformateurs et conservateurs, ces derniers, sous la conduite du guide de la révolution islamique, l'ayatollah Ali Khamenei, ont recouvert le pays de la chappe de plomb de la répression, rappelant du même coup qu'ils conservaient les principaux leviers de commande du pouvoir. Devant l'ampleur de la défaite infligée dans les urnes, les conservateurs ne cherchent plus la conciliation, comme avait pu le laisser espérer la grâce accordée le 25 janvier par l'ayatollah Khamenei à l'ancien maire réformateur de Téhéran, M. Karbatchi. Durcissant le bras de fer avec le président modéré, ils accroissent les pressions sur son entourage, frappant là où cela fait le plus mal, au cœur même de cette politique de réformes qu'ils tentent de contrecarrer depuis son élection en mai 1997 : la presse réformatrice, principal vecteur de l'aspiration au changement des Iraniens, est ainsi la cible d'une attaque en règle du camp conservateur, qui ordonne le 24 avril la suspension de 14 publications accusées de trahir les principes révolutionnaires, un chiffre ramené aussitôt à 13, le pouvoir judiciaire s'étant rétracté pour le titre Sobh-é-Emrouz. La clémence d'une justice contrôlée par les durs du régime à l'égard de ce journal paraît d'autant plus inexpliquée qu'il était dirigé par Saïd Hadjarian, conseiller municipal de Téhéran et l'un des architectes des réformes politiques, grièvement blessé par balles le 12 mars. Proche collaborateur du président Khatami, le journaliste a failli payer de sa vie une série d'articles accusant des membres du tout-puissant ministère des Renseignements, dont il fut le fondateur et le no 2 avant de basculer dans le camp des réformes, d'avoir perpétré les meurtres de cinq opposants à l'automne 1998. Intervenant dans un contexte marqué par une série d'attaques attribuées aux moudjahidine du peuple, une organisation d'opposants basée à Bagdad, l'attentat contre M. Hadjarian, dont les auteurs ont été condamnés à la mi-mai à des peines de trois à quinze ans de prison, aggrave des tensions que le coup de force contre la presse ne peut qu'exacerber au sein d'une société iranienne impatiente de voir mises en œuvre les réformes annoncées.

Une société polarisée

D'autant que, à la fermeture en quelques semaines de 19 journaux libéraux, s'ajoute une campagne visant à invalider certains des résultats électoraux favorables aux réformateurs. Le Conseil des gardiens, organe chargé de valider les élections, a ainsi annulé une quinzaine de résultats, notamment à Téhéran où le nombre des réformateurs élus est passé de 29 à 26 sur les 30 sièges que compte la capitale, renvoyant les candidats déboutés devant les électeurs pour un deuxième tour dont la date est sans cesse différée. Tous les ingrédients sont réunis pour une nouvelle confrontation au sein d'une société polarisée, comme celle qui avait suivi durant l'été 1999 l'annonce de la fermeture du journal Salam, à l'origine d'un vaste mouvement de protestation né dans les campus. Ceux-ci ont une fois encore réagi par des manifestations de soutien au président Khatami, qui a de plus en plus de mal à calmer ses troupes, saturées de promesses. Dans un discours prononcé le 22 mai pour le troisième anniversaire de son élection, M. Khatami lance un vibrant plaidoyer pour la liberté de la presse, s'en prenant vivement aux conservateurs. « Personne ne peut affirmer que son interprétation de l'islam doit être la seule, pas plus que dénoncer les opposants ou ordonner leur assassinat », déclare-t-il dans une allusion à peine voilée aux cerveaux de l'attentat contre son ami Hadjarian, en se félicitant de la refonte, même imparfaite, du ministère des Renseignements après les assassinats d'opposants de 1998. Mais, au-delà de la fermeté évidente du discours, la marge de manœuvre du président Khatami reste très étroite entre une société accumulant les frustrations et la faction conservatrice du clergé iranien, qui continue à contrôler la justice, l'armée et les ondes. Le nouveau Parlement entamait finalement ses travaux le 27 mai, mais les conservateurs n'ont pas renoncé à saboter l'entrée en force de leurs adversaires par tous les moyens, y compris en sapant leurs efforts diplomatiques en vue d'améliorer l'image de l'Iran sur la scène internationale. Lors de la séance inaugurale du Majlis, l'ayatollah Khamenei a rappelé que le Parlement devait « décevoir l'ennemi » en défendant la loi islamique. « Décevant » les espoirs de la communauté internationale qui avait salué l'ouverture annoncée par le scrutin législatif et exprimait son soutien au président Khatami, la justice iranienne a d'ailleurs relancé l'épreuve de force en orchestrant en avril le procès de 13 Juifs iraniens accusés d'espionnage au profit d'Israël. À peine oubliée la fatwa contre Salman Rushdie, ce nouveau défi risque de ruiner les efforts de normalisation du président Khatami, récompensés par la levée, certes très partielle, de l'interdit frappant les exportations iraniennes aux États-Unis, où les produits de luxe seront à nouveau autorisés, et par l'octroi le 18 mai, pour la première fois depuis sept ans, d'un prêt de la Banque mondiale à Téhéran. Des gestes de bonne volonté que les conservateurs n'hésitent pas à mettre en avant pour dénoncer ceux qui pactisent avec les satans américain et sioniste, dans le mépris des fondements de la révolution islamique.