An mille et ans mille : de la diversité du monde en l'an mille

Les fins et débuts de siècles et, a fortiori, de millénaires sont des moments privilégiés pour tirer des bilans. Mais ce sont aussi des moments particuliers qui, dans nos sociétés très attentives aux anniversaires, nourrissent des espoirs ou des inquiétudes. L'homme aime produire des mythes. Aussi ne faut-il pas s'étonner de voir à l'aube du troisième millénaire que resurgi celui des peurs de l'an mille. Pourtant, à mille ans de distance, on pourrait se risquer à ce parallèle : si les peurs de l'an mille sont un mythe destiné à enlaidir le passé pour glorifier le présent, la peur qui annonça le « bug de l'an deux mille » ne ressortirait-elle pas à une manipulation destinée à jouer des faiblesses des hommes devant l'avenir ?

Les peurs de l'an mille

Au siècle dernier, les historiens médiévistes, reprenant les propos du chroniqueur Raoul Glaber, ont popularisé l'idée d'une société médiévale inquiète du passage de l'humanité du premier au deuxième millénaire. Ils tirèrent de rares évocations une généralisation abusive. D'une seule citation trouvée dans le texte d'un moine de l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire ils construisirent une légende tenace, constitutive d'une conception « gothique » de cette société. Ainsi ce moine anonyme, livrant certaines rumeurs circulant aux alentours de l'an mille, écrivit : « On m'a appris que, dans l'année 994, des prêtres dans Paris annonçaient la fin du monde. Ce sont des fous. Il n'y a qu'à ouvrir le texte sacré, la Bible pour voir, Jésus l'a dit, qu'on ne saura jamais le jour ni l'heure. Prédire l'avenir, prétendre que cet événement terrifiant que tout le monde attend va se produire à tel moment, c'est aller contre la foi. » Mais cette opinion hétérodoxe pouvait se prévaloir d'une interprétation de saint Augustin comme quoi la période de mille ans évoquée dans l'Apocalypse partait bien de la naissance du Christ et qu'à son issue l'humanité entrerait dans le temps du Royaume sur terre. Certains moines ont dû penser que les temps étaient écoulés et que le grand combat eschatologique était proche. Toutefois, rien ne peut laisser penser que ces idées nourrirent l'imaginaire des hommes de l'an mille. Pas de peur particulière, hormis celles que nourrissent l'angoisse de la nuit et l'incertitude du lendemain. Au-delà de toutes ces peurs que les hommes de cette époque devaient partager, à savoir celles de la misère, de l'autre ou de l'étranger, des épidémies et de la violence, c'est bien celle de l'au-delà qui nourrit le sentiment diffus de ces prêtres qui, selon notre chroniqueur, ont mal lu les textes ou, plutôt, qui ont pris pour argent comptant la lettre du texte sacré. En particulier celle de l'Apocalypse. Dans l'Apocalypse attribuée à l'apôtre Jean – ce n'est pas le seul texte du Nouveau Testament qui évoque la fin des temps –, on liste les signes annonciateurs de la fin des temps : les guerres, les tremblements de terre ou autres catastrophes naturelles, des signes dans le ciel. Toutes ces manifestations conjuguées auraient produit dans le cœur des hommes une angoisse croissante à mesure que l'échéance des mille ans se rapprochait.

Une société annonciatrice d'une croissance

Aujourd'hui, il ne fait plus de doute que le siècle (950-1050) autour de l'an mille fut un temps essentiel dans l'histoire de la chrétienté. C'est à cette époque que les campagnes occidentales connaissent une croissance démographique réelle, un nouveau système social, la féodalité. Des revenus croissants, une structure hiérarchique admise par le plus grand nombre des princes et des chevaliers, une Église triomphante – première puissance économique, avec ses monastères, et idéologique, s'appuyant sur son blanc manteau d'églises –, tout cela concourra à donner à l'Occident, à partir des années 1090, les moyens qui allait lui permettre de mener sa première expérience expansionniste quelques décennies plus tard : les croisades. Que ce soit pour des raisons idéologiques – religieuses –, économiques ou géostratégiques, cette aventure témoigne d'une vitalité qui a été préparée autour de l'an mille.

L'an mille, une nouvelle époque pour la planète

En notre époque marquée par une mondialisation qui a dépassé le concept fameux d'économie-monde que Fernand Braudel avait appliqué à la Méditerranée des xive-xviie siècles, on se doit de jeter un œil sur ce qui se passait au même moment dans ce qui constituait la majeure partie du monde habité, c'est-à-dire hors d'Europe.