Journal de l'année Édition 2000 2000Éd. 2000

L'état français parle aux Corses

Acceptant la main tendue deux semaines plus tôt par Lionel Jospin, les élus corses ont participé le 13 décembre à une réunion sans précédent à l'hôtel Matignon, où était enclenché un processus de discussions sur l'avenir de la Corse. Cette rencontre, qui intervient après la publication de deux rapports parlementaires accablants sur les services de l'État dans l'île, illustre la volonté de dialogue du gouvernement, déterminé à rétablir l'État de droit en Corse sans occulter aucun des aspects du problème corse. La mouvance nationaliste semble favorable à cette initiative.

Le 31 octobre, les bulldozers débarrassaient la plage de la Cale d'Orzu, au sud d'Ajaccio, de la paillote illégale « Chez Francis », terminant ainsi le travail commencé en avril, dans une clandestinité vite démasquée, par les gendarmes spéciaux au service du préfet Bonnet, remercié et mis en examen depuis pour cet exercice très abusif du pouvoir. Exécutée sous l'œil de son propriétaire et des caméras, la destruction en bonne et due forme cette fois de ce modeste établissement par qui le scandale d'État était arrivé mettait certes un terme à la “guerre des paillotes” ; mais si le littoral insulaire se mettait de la sorte un peu plus en conformité avec les exigences de la législation, on aurait tort de voir dans le dénouement de cette affaire une métaphore de la pacification des relations tourmentées entre l'État français et la Corse. Les rapports accablants de deux commissions d'enquête parlementaires sur la politique de sécurité en Corse auront d'ailleurs vite fait de reléguer l'événement au rang d'anecdote : rendus publics le 17 novembre, les travaux de la commission du Sénat, dominée par l'opposition, et de la commission de l'Assemblée nationale, dominée par la majorité, s'accordent pour confirmer la gravité du problème corse qui se mesure à l'ampleur des « dysfonctionnements des services de l'État » dans l'île. Dans cet état des lieux sans concession, les parlementaires des deux bords avaient mis en lumière l'impuissance de l'État, entravé par une compétition féroce entre une gendarmerie aux effectifs insuffisants et une police inefficace car elle-même en butte à des querelles intestines, une justice tout aussi divisée et enfin une préfecture échappant à son contrôle. Comment s'étonner d'un tel tableau, quand près de deux ans après l'assassinat d'un préfet de la République, Claude Erignac, le 6 février 1998, son meurtrier présumé, Yvan Colona, court toujours, narguant les moyens exceptionnels mis en œuvre par l'État qui a mobilisé sans compter magistrats, policiers et gendarmes pour mener à bien cette enquête ? Si les conclusions des parlementaires n'ont fait finalement que confirmer les sentiments d'une opinion largement sceptique, elles auront le mérite d'avoir produit l'effet d'un détonateur sur le gouvernement, invité à tirer au plus vite les conséquences de leur sévère verdict. Travail de longue haleine, le rétablissement de l'État de droit en Corse ne peut plus se satisfaire de formules incantatoires et de professions de foi qui se sont avérées autant de vœux pieux depuis que l'État a admis l'existence d'un « problème corse ».

Une volonté de dialogue

Après un premier contact avec la réalité insulaire le 6 septembre, Lionel Jospin a pris conscience de ce problème en adaptant sa politique à l'urgence d'une situation qui appelle des solutions différentes, passant par un dialogue réel avec les acteurs politiques corses de toutes tendances. Illustrée par l'offre de dialogue proposée par le Premier ministre aux élus corses le 29 novembre, cette politique de la main tendue et de la coopération refuse d'être l'otage des terroristes, alors même que la violence semble s'engager sur la voie de la surenchère en Corse, où un attentat à l'explosif particulièrement puissant faisait six blessés quelques jours avant dans des bâtiments administratifs d'Ajaccio.

Lors de sa visite dans l'île en septembre, le chef du gouvernement avait pourtant posé comme un préalable à toute discussion l'arrêt de la violence. Traduisant l'abandon de la logique du tout-répressif, la volonté affichée par le gouvernement d'engager le dialogue, fût-ce dans un climat de violence, lui vaudra finalement l'adhésion des nationalistes, qui figurent au nombre des 28 élus de l'Assemblée de Corse qui s'assoient à la table des négociations à l'hôtel Matignon le lundi 13 décembre pour une rencontre sans précédent à laquelle les a conviés Lionel Jospin et cinq membres de son gouvernement. Enclenchant un processus de discussions sur l'avenir de l'île, de façon à régler de manière « transparente », dans tous ses aspects, le « malaise corse », la rencontre définit un calendrier à ce dialogue, dont le premier rendez-vous est d'ores et déjà fixé à février ou mars 2000. Cette prochaine réunion donnera réellement corps à ce dialogue dont les principaux protagonistes sont l'Assemblée de Corse et le préfet Jean-Pierre Lacroix et qui devra définir différents groupes de travail où aucun sujet de discussion ne doit être considéré comme tabou : de la violence à la fiscalité, en passant par la langue, la culture, le développement, l'insularité, les modalités de la coopération, toutes les dimensions du problème corse sont censées passer au crible de ce dialogue, jusqu'au statut de la Corse, et aux « aménagements » ou à la « réforme plus profonde » qu'il appelle. Seule l'indépendance n'est pas inscrite au menu des discussions, et la réunion de Matignon a d'ailleurs préféré éviter toute référence même à l'autonomie.