Journal de l'année Édition 2000 2000Éd. 2000

Renault et Nissan : un mariage de raison

Le 27 mars, à Tokyo, les dirigeants de Renault et de Nissan annoncent les fiançailles de leurs groupes, engagés dans une « alliance d'un type nouveau » qui devrait accorder un rayonnement mondial au constructeur français et favoriser le redressement de son partenaire japonais lourdement endetté. Cette alliance n'est pas sans risques pour Renault, malgré toutes les précautions prises par le groupe français pour ne pas voir son propre redressement sacrifié sur l'autel de ses ambitions mondiales.

À son tour, l'industrie automobile française est gagnée par la logique d'un marché qui lui impose de mettre son compteur à l'heure de la mondialisation et des fusions. Dans le sillage de l'américain Ford, qui a inauguré cette année de toutes les fusions en achetant, le 28 janvier, la division automobile de Volvo, Renault annonce, le 27 mars, son mariage avec le constructeur japonais Nissan. Une belle revanche pour le constructeur français, dont la toute première expérience fusionnelle, remontant à 1990, avec Volvo justement, s'était soldée par un échec, le constructeur suédois s'étant désengagé progressivement jusqu'à divorcer d'avec Renault après sa privatisation, en 1994.

Un défi de grande envergure

Un défi aussi, pour un constructeur d'envergure somme toute modestement européenne, et donc vulnérable aux appétits des géants de la catégorie, qui part à la conquête d'un marché mondial régi par la loi du plus fort. Un pari risqué enfin, voire une aventure selon certains, qui n'ont pas manqué d'émettre leurs objections au moment où les P-DG de Renault (Louis Schweitzer) et de Nissan (Yoshikazu Hanawa) faisaient vœu de fidélité à Tokyo.

Avec un très lourd endettement, estimé à 31 milliards d'euros, Nissan peut en effet difficilement passer pour le partenaire idéal, alors que Renault affiche au contraire une bonne santé économique. Mais neuf mois de négociations prudentes, posant une série de garde-fous prémunissant Renault contre la contagion de la dette, ont mis en évidence les avantages de cette « alliance d'un nouveau type » annoncée par M. Schweitzer et qui sera scellée par un mariage à la fin mai.

La corbeille de la mariée, même si elle est percée, ne manque pas d'atouts et Renault compte sur ceux-ci pour passer à la vitesse supérieure et faire son entrée dans la cour des grands. En « regroupant leurs forces » – mot d'ordre de cette alliance –, Renault et Nissan veulent se donner les moyens d'un développement commun et d'une pénétration plus profonde du marché mondial, tout en préservant leurs identités respectives. Car Renault n'a pas succombé à un effet de mode en se lançant dans une dynamique qui tient d'ailleurs plus d'un « partenariat global » dans l'intérêt bien compris des associés que d'une fusion.

Une alliance d'un nouveau type

C'est donc en douceur que la marque au losange, qui se sentait à l'étroit dans l'Hexagone, négocie le virage d'une mondialisation dictant des conditions toujours plus rudes à la compétition. Il y allait du prestige et de la survie de Renault, qui risquait de voir se flétrir ses lauriers faute d'un rapide développement et d'un accès à de nouveaux marchés.

Le caractère innovant de la gamme et une stratégie industrielle efficace de réduction des coûts sans augmentation des prix avaient permis à Renault de réaliser en 1998 un résultat net de 1,34 milliard d'euros (8,84 milliards de F), soit une progression de 63 % par rapport à l'exercice de 1997, du jamais vu depuis 1989. Alors qu'un ralentissement des ventes en 1999 est prévu pour cause de crise dans certains pays émergents, l'alliance avec Nissan permettrait de rectifier la tendance en lui ouvrant notamment les marchés japonais et américain, à moyen ou long terme. Mais la priorité est pour Renault d'augmenter sa puissance de production, au risque, dans le cas contraire, d'être dépassé, voire écrasé par ses concurrents ; sans Nissan, la firme au losange n'occupe que le 10e rang mondial, avec 2,2 millions de véhicules (particuliers et utilitaires) produits chaque année, soit bien au-dessous des 4 à 5 millions de véhicules, seuil à partir duquel un constructeur est considéré comme mondial ; avec Nissan, on passe à 4,8 millions de véhicules, et les deux constructeurs se hissent au 4e rang mondial avec 9,1 % du marché, derrière General Motors, Ford et Toyota (au 2e rang mondial dans la catégorie des plus de 15 tonnes). Une promotion dont le prix à payer est le redressement financier de Nissan, condition impérative de l'efficacité de cette complémentarité exaltée par les deux partenaires, mariés sur un régime mixte de communauté de biens et de séparation des risques.