« Monet, le cycle des Nymphéas »

Les travaux de rénovation d'un musée suscitent souvent des expositions, généralement hors les murs, parfois intra-muros. Ce fut le cas pour le Centre Pompidou, en travaux avant sa réouverture en janvier 2000, avec un ensemble d'opérations en province (Kandinsky à Nantes, Miró à Bordeaux...) et à l'étranger (Robert et Sonia Delaunay à Hambourg...). Le cas du musée national de l'Orangerie est à ce titre intéressant. Afin de financer une partie du budget des travaux (1999-2001), le musée a été conduit à organiser une exposition itinérante de sa collection permanente, la collection Jean Walter et Paul Guillaume, dans divers musées étrangers (Japon, États-Unis, Australie). La libération temporaire des cimaises avant la mise en chantier (prévue pour début 2000) permettait de disposer pour la première fois d'espaces de présentation pour réunir autour de la rotonde des Nymphéas de Monet, installée à demeure dans l'enceinte de l'Orangerie depuis 1927, un nombre important des toiles de ce cycle historique de l'impressionnisme.

La réforme du musée de l'Orangerie

La rénovation de ce musée était devenue nécessaire depuis plusieurs années. L'usure du bâtiment l'imposait, mais aussi la nécessité de repenser l'articulation muséographique entre la collection Walter-Guillaume et la rotonde des Nymphéas de Monet. Les espaces réservés à la collection permanente, trop à l'étroit, n'offraient pas la possibilité d'une présentation pédagogique suffisante, permettant de comprendre notamment le montage historique de la réunion de ces œuvres par les deux collectionneurs. Plus encore, la réforme réalisée au cours des années 1960 pour accueillir les œuvres de la donation Walter-Guillaume avait détruit en partie le dispositif voulu par Monet pour ses Nymphéas, condamnant notamment les nénuphars à un éclairage artificiel. On avait ainsi détruit le vestibule elliptique dessiné par Monet, avec ses deux baies donnant l'une sur les berges de la Seine, l'autre sur les allées du jardin des Tuileries. Les Nymphéas prévus pour baigner dans l'atmosphère vivante et fugitive des vibrations solaires, entre ciel, terre et eau, se retrouvaient en sous-sol, sous éclairage artificiel.

La suppression de l'étage recouvrant la salle des Nymphéas, prévue dans le cahier des charges des travaux, permettra de redonner à l'ensemble décoratif de Monet une lumière naturelle. La collection Walter-Guillaume sera, elle, logée dans une galerie creusée en sous-sol, sous le jardin, parallèlement à la galerie du musée, pouvant elle-même bénéficier d'un éclairage zénithal. Afin de générer des recettes pour couvrir une partie des frais de cette opération (80 millions de francs), le conservateur en chef du musée, Pierre Georgel, a décidé, sur le modèle de la Fondation Barnes, de faire circuler les œuvres de la collection Walter-Guillaume (Picasso, Soutine, Bonnard...) pendant la durée des travaux. En libérant les salles avant la mise en chantier, il pouvait réunir un ensemble inédit de toiles de Monet sur le même motif des nénuphars de Giverny, confrontant pour la première fois le grand ensemble décoratif déposé par Monet à l'Orangerie aux nombreuses toiles qui l'avaient précédé.

Le calendrier de cette exposition coïncidait avec un anniversaire. C'est, en effet, dans une lettre datée du 12 novembre 1918, au lendemain de l'armistice, que Claude Monet proposait à son ami Georges Clemenceau de faire donation à l'État français d'un grand ensemble décoratif panoramique : « Je suis à la veille de terminer deux panneaux décoratifs que je veux signer le jour de la Victoire, et je viens vous demander de les offrir à l'État par votre intermédiaire. » Monet signe un acte officiel en 1922 dans lequel il s'engage à donner huit compositions en vingt-deux panneaux. Pour les accueillir, l'État fait aménager le musée de l'Orangerie, dans l'ancienne serre de Napoléon III. Mais le peintre n'a toujours pas terminé son grand œuvre ; sa vue se brouille et il lutte contre la cécité : « Je voudrais tout peindre avant de plus voir du tout. » Un an plus tard, toujours en retard dans la finalisation de l'ensemble, il envisage d'abandonner son projet. Clemenceau le somme d'honorer sa donation. Quelques mois plus tard, sa vue rétablie à la suite de diverses interventions chirurgicales, il s'investit à nouveau dans cette œuvre ultime. Il envisage de donner les toiles promises au cours du printemps suivant, mais hésitant, avec la même obsession, à mettre un terme final à l'ensemble, il en laisse certaines en suspens. Ce n'est qu'en mai 1927, quelques mois après sa mort, qu'est inauguré le musée.