David Hockney : « Espace-Paysage »

Le millésime des expositions parisiennes de l'année 1999 s'ouvrait avec un triple hommage au peintre contemporain David Hockney. Figure emblématique du pop art anglais, égérie des « swinging sixties » londoniennes, Hockney est installé en Californie depuis 1964. Il vit aujourd'hui sur les hauteurs de Hollywood, dans une vaste maison bigarrée qui ressemble en bien des points à la fraîcheur parfois kitsch de ses toiles acidulées. À soixante et un ans, Hockney, invité par trois institutions parisiennes, dresse un bilan de ses recherches en scénographie, en peinture et en photographie.

Le musée national d'Art moderne présentait une cinquantaine de toiles retraçant le parcours du peintre depuis le début des années 60, des premiers paysages pop aux œuvres plus abstraites des années 80. À quelques pas, le musée Picasso, installé somptueusement dans l'hôtel Salé, évoquait les liens d'influences et d'affinités entre le peintre anglais et le génie catalan. C'est alors qu'il est encore étudiant à la School of Arts de Bradford que Hockney découvre Picasso. En 1960, la Tate Gallery organise une grande rétrospective qu'il dévore littéralement : il ne la visitera pas moins de huit fois, le choc tournant à la révélation. Le jeune peintre se confronte à son aîné, revisite ses portraits destructurés. Enfin, toujours à quelques pas, dans le Marais, la Maison européenne de la photographie rassemblait une importante série de clichés de Hockney photographe, travaux réalisés de 1968 à 1997 où se retrouvent pêle-mêle son journal intime, ses images souvenirs et ses recherches plastiques sur le démantèlement de la perspective.

Paysage panoramique

Le parcours semi-rétrospectif du musée national d'Art moderne montre l'évolution d'un peintre qui, des portraits des années 60 (partagés entre des couleurs pop et un hiératisme des pauses plus sophistiqué emprunté à Balthus) au Grand Canyon d'aujourd'hui, semble s'être converti à la « joliesse » légendaire de l'esthétique californienne, celle de Santa Monica et de Beverly Hills. L'exposition a choisi pour cela de retenir avant tout le fil conducteur du paysage. Hockney les aime grands, à l'échelle sublime des imposants déserts américains. L'exposition s'ouvre sur le mythique paysage de Rocky Mountains, qu'il a peint en 1965, et se referme sur le non moins spectaculaire Grand Canyon, dispositif panoramique de plus de trois mètres sur sept. Entre ces deux points de référence, une multitude d'expériences qui alternent entre hyperréalisme, glamour-pop et baroque postcubiste. La couleur est toujours présente, parfois envahissante, même si la lumière tamisée de la scénographie laissait flotter une ambiance trop vaporeuse pour une œuvre aussi flamboyante. En quelques toiles, qui retracent brièvement son parcours, on découvre les œuvres qui ont fait le succès de l'artiste : des compositions qui accumulent les citations et parfois les pastiches, puisant tour à tour dans la peinture ancienne et contemporaine, dans la bande dessinée et la photo de mode, jusqu'au design industriel. Avec, chaque fois, une même volonté de sublimer l'image ordinaire d'un univers plutôt confortable en une image hiératique.

Le parti pris de l'exposition est rappelé en filigrane dans son titre, « Espace-Paysage ». C'est en effet d'espace qu'il s'agit, celui notamment de la représentation, avec ses artifices, ses distorsions, ses effets d'optique. Hockney n'est pas seulement un peintre de la couleur, il est aussi un artisan de la mise en page et des effets de « surface ». Dans Rocky Mountains and Tired Indians, il juxtapose les clichés folkloriques de l'Ouest américain à la façon d'un collage. Quelques années plus tard, c'est à la planéité du cliché photographique qu'il emprunte une facture moins brossée. Il peint alors certaines de ses toiles au rouleau. Comme dans plusieurs de ses œuvres des années 60, la surface aquatique de la grande piscine de Bigger Splash est cernée par un cadrage blanc peint sur la toile, artifice renvoyant au modèle du tirage Polaroid caractéristique des pratiques photographiques du pop new-yorkais. Ce cadrage, un peu précieux, met à plat l'image, insiste sur l'artifice hyperréaliste tout en le détournant par de subtils effets de distorsion visuelle. Au milieu de la décennie suivante, les années 70, David Hockney cherche progressivement à échapper aux contraintes du naturalisme qu'il vient d'expérimenter dans les Doubles Portraits. L'année 1975 constitue pour cela une étape charnière. Il réalise alors un tableau intitulé Kerby, inspiré d'un frontispice gravé par William Hogarth pour un manuel de perspective. Cette source, plus ancienne, lui permet d'essayer des solutions inédites pour suggérer l'espace de la représentation. C'est dans cette quête de nouveaux artifices qu'apparaît le motif, très cubiste, de la chaise. Juan Gris l'avait utilisé fréquemment ; Picasso l'avait introduit dans son tout premier collage, la fameuse Chaise cannée de 1912.