L'illettrisme

Ces dernières années, on crie beaucoup à l'illettrisme, mal du siècle, que l'on confond volontiers avec l'analphabétisme. Comment se peut-il que dans un pays développé, dans lequel la scolarité est obligatoire jusqu'à seize ans, un nombre non négligeable de jeunes et d'adultes soient incapables ou presque de lire plus que les gros titres d'un journal, d'écrire une simple carte postale, de remplir le moindre formulaire ? Après plusieurs années d'études, d'enquêtes et de colloques consacrés à ce fléau, nous pouvons, aujourd'hui, mieux comprendre le développement et les causes de l'illettrisme. Nous verrons aussi qu'il n'y a pas de fatalité en ce domaine.

Analphabétisme ou illettrisme ?

Au mot « analphabétisme » le dictionnaire nous dit : « État de quelqu'un qui ne sait ni lire ni écrire. » En France, les lois de Jules Ferry sur l'enseignement primaire gratuit et obligatoire ont permis à tous l'accès aux apprentissages : savoir lire, écrire et compter. Le taux d'analphabètes est passé de 40 % en 1850, à 3 % en 1945. Mais apprendre à lire n'est qu'une étape, encore faut-il conserver les acquis et les compléter. Il faut aussi que cela soit utilisable dans les relations sociales et la qualification professionnelle. Vers 1970, l'association ATD Quart Monde (Aide à Toute Détresse) est la première à avoir introduit la notion d'illettrisme, qui concerne à la fois les personnes n'ayant eu aucune formation en France (immigrés, nomades) et celles qui, quoique scolarisées, ont les mêmes types de difficultés.

En France, tous les auteurs s'accordent sur cette définition : « Un illettré est une personne de plus de seize ans qui, ayant ou non appris à lire et à écrire, n'en a pas la pratique et présente une des quatre incapacités de base à parler, écrire, lire et calculer. »

L'Unesco a donné ses définitions, insistant sur le côté fonctionnel dans la vie quotidienne : les capacités de lecture, d'écriture et de calcul et la maîtrise de la langue orale ; les qualifications professionnelles, le degré de discernement (pour les dépenses, l'hygiène, les soins médicaux, etc.) ; les rapports dans le travail, les contacts avec les services sociaux et administratifs. Si la définition de l'illettrisme de l'Unesco est plus large que celle que nous lui donnons en France, elle a le mérite de montrer que l'illettrisme va de pair avec la quasi-totalité des détresses sanitaires et sociales.

Sur quels chiffres peut-on se fonder ?

On dispose de trois types de données. À l'entrée en sixième, 9 % des élèves ne peuvent pas saisir l'information d'un écrit et 6 % cumulent ce handicap avec des difficultés voisines en calcul. Les élèves en difficulté sont, majoritairement, issus de familles d'ouvriers ou de personnels de service, peu ou pas diplômés, de familles désunies et connaissant le chômage.

La batterie de tests auxquels ont été soumis 427 000 jeunes hommes, du 3 octobre 1998 au 26 juin 1999, a mis en évidence que 9,7 % sont incapables de comprendre un document de la vie de tous les jours et que 3,9 % ne sont pas en état de tenir un compte. Pour sa part, l'INSEE évalue pour la métropole l'impact du phénomène à 5,5 % de la population adulte, soit 2 300 000 personnes en « grave difficulté ».

Des responsabilités partagées ?

Être illettré signifie-t-il ne rien savoir ni lire ni écrire ? Ayant été déjà scolarisé et utilisant la langue écrite, même peu, dans sa vie quotidienne, un adulte a très probablement construit des « savoirs ». Pourquoi les recherches sur l'illettrisme n'en tiennent-elles pas compte ?

La plupart des tests pour évaluer les difficultés de lecture de l'adulte illettré sont les mêmes que ceux utilisés auprès des jeunes enfants en cours d'apprentissages. Peut-on comparer les performances d'un adulte à celles d'un enfant ?

Gardons-nous d'intenter un mauvais procès à l'école, comme le font la presse et l'opinion publique, en l'accusant d'être le principal responsable de l'illettrisme en France. Rappelons que si 9 % des élèves entrant en sixième ne maîtrisent pas l'écrit, cela veut dire que près de 91 % savent le faire. Rappelons aussi qu'un très fort pourcentage de jeunes sortent du système scolaire avec un diplôme. De plus, il n'y a pas d'études sérieuses qui établissent un lien entre l'échec en lecture et les méthodes d'apprentissages. Cela dit, l'école est évidemment concernée par le devenir linguistique et culturel de ceux qui lui sont confiés.