L'Albanie en quête de stabilité

Secouée en 1997 par des troubles meurtriers qui ont abouti à la démission du président Sali Berisha et à l'arrivée des socialistes au pouvoir, l'Albanie a connu, en 1998, le pire et le meilleur. En septembre, un coup de force a visé le gouvernement et provoqué le départ du Premier ministre Fatos Nano. Le succès, en novembre, du référendum constitutionnel conférera peut-être un peu de stabilité au pays, alors que la situation au Kosovo voisin est toujours lourde de menaces.

« Ici commence l'avenir », proclamait un slogan officiel appelant les Albanais à participer au référendum constitutionnel du 22 novembre. L'affirmation relevait d'un optimisme peut-être excessif. Le pays le plus pauvre d'Europe est aussi l'un des plus instables. Les violences sociales et la confusion politique y sont la règle depuis la chute du régime communiste, en 1991, aggravées par les agissements d'une mafia qui contrôle les trafics tenant lieu d'activité économique. Aujourd'hui, les candidats à l'émigration clandestine vers l'Italie sont encore nombreux à débourser 300 dollars pour traverser le détroit d'Otrante sur des embarcations légères, au péril de leur vie, en vue d'échapper à un sort bien plus cruel à leurs yeux : vivre en Albanie. C'est pourquoi l'adoption d'une Constitution apparaît, certes, comme une condition nécessaire à la stabilisation de la situation albanaise, mais n'en constitue sûrement pas la condition suffisante.

L'instauration d'un régime parlementaire

Les Albanais ont donc approuvé par référendum, à une forte majorité – 93,5 % –, le projet de Constitution rédigé avec l'aide du Conseil de l'Europe et présenté par le gouvernement socialiste aux affaires depuis juillet 1997. L'Albanie où le pouvoir a été, de 1992 à 1997, incarné par un homme, le charismatique président Sali Berisha, est désormais une République parlementaire aux pouvoirs équilibrés. Aucune nouvelle Loi fondamentale n'avait été élaborée depuis la fin de l'ère communiste. La tentative de Sali Berisha d'instaurer un régime présidentiel taillé sur mesure avait échoué au terme d'un premier référendum, en novembre 1994 – un an et demi plus tard, il lui faudrait frauder pour remporter les élections législatives. L'ancien homme fort du pays appelait, cette fois, au boycottage du scrutin. Sa formation, le Parti démocratique, refusait déjà de participer aux séances de travail en vue de l'élaboration du texte. Le chef de l'opposition a-t-il été entendu ? Pas suffisamment, semble-t-il, pour que le scrutin, dont le déroulement a été jugé « correct » par les observateurs de l'OSCE, ne perde de sa signification : le taux de participation s'est élevé à 50,6 %. Sali Berisha a prétendu que le taux réel avait été gonflé d'au moins 10 % et a accusé les dirigeants socialistes d'avoir organisé des fraudes massives. Moins de deux mille personnes ont répondu, le lendemain, à Tirana, à son appel à manifester. L'homme a perdu son charisme. Ses excès lassent. Ce n'était pas sa première tentative de déstabilisation du pouvoir depuis sa démission, après les élections législatives de juin 1997 perdues par le Parti démocratique. En 1997, les faillites en chaîne, à partir de janvier, des établissements pratiquant le système des pyramides financières avaient provoqué la ruine des petits épargnants. Les émeutes qui avaient bientôt pris pour cible la personne du président Berisha devaient faire, en trois mois, quelque deux mille morts à travers le pays. En avril, une force internationale était intervenue pour garantir le maintien de l'ordre jusqu'aux élections législatives anticipées annoncées pour juin. La victoire du parti socialiste (ex-communiste réformé) et l'accession de son chef, Fatos Nano, au poste de Premier ministre n'ont jamais été acceptées par Sali Berisha, qui a préféré la démission à la cohabitation.

Un « coup d'État » manqué

Le 22 août de cette année, six des principaux dirigeants du Parti démocratique ont été accusés de « crimes contre l'humanité » après les événements de 1997 et arrêtés. Depuis, l'opposition organisait quotidiennement des manifestations en vue d'obtenir la démission du Premier ministre socialiste. En septembre, à l'occasion de troubles qu'il avait contribué à attiser, Sali Berisha a encouragé des attaques contre le pouvoir qualifiées par celui-ci de « coup d'État ». Les violences ont commencé le lendemain de l'assassinat, à Tirana, le 12, de Azem Hajdari, l'un des fondateurs du Parti démocratique et le « bras droit de Sali Berisha, tué par balles par des inconnus devant le siège du Parti. Le chef de l'opposition a aussitôt qualifié le crime d'« attentat politique » et accusé le gouvernement socialiste de Fatos Nano d'en être l'instigateur. Suivait une menace assortie d'un ultimatum : « Si le criminel Fatos Nano ne démissionne pas dans les vingt-quatre heures, nous réagirons et utiliserons tous les moyens pour le renverser. » Le jour même, des partisans du Parti démocratique marchaient sur le siège du gouvernement, désarmaient les soldats en faction et tiraient sur le bâtiment. Les affrontements causaient la mort d'un manifestant. Le lendemain, jour des obsèques d'Azem Hajdari, des échanges de tirs ont de nouveau résonné dans les rues de la capitale lorsque des opposants ont tenté pour la deuxième fois de forcer les portes du siège du gouvernement avant de s'emparer de deux blindés, d'investir le Parlement et de prendre pour quelques heures possession des locaux de la radio et de la télévision. Trois d'entre eux ont été tués. Les forces de l'ordre rétablissaient le calme en fin de journée dans une capitale dévastée par les affrontements et les pillages. Le ministre de l'Intérieur pouvait déclarer : « Le coup d'État a échoué. » L'explosion de violence a toutefois mis en lumière la détermination de l'opposition à reconquérir le pouvoir par quelque moyen que ce soit et, par contraste, la faiblesse d'un gouvernement pouvant à peine compter sur la loyauté des forces de l'ordre et, encore moins, sur le soutien de la population. Si la communauté internationale, États-Unis et Italie en tête, a aussitôt dénoncé les violences, elle a aussi renvoyé dos à dos le gouvernement et l'opposition, dont les pratiques ont été également condamnées. Fatos Nano et Sali Berisha ont été sommés d'engager un dialogue, ce à quoi le second s'est farouchement opposé.