La Chine dans la tourmente

En débordant de son lit, le Yang-tseu menaçait tout à la fois villes et campagnes, mais aussi les perspectives de croissance économique de la République populaire. Car si le yuan, la monnaie nationale, n'a pas suivi les autres devises asiatiques dans leur dégringolade vis-à-vis du dollar, l'économie chinoise n'a pas pour autant été épargnée par la tempête monétaire qui s'est abattue dans la région à l'été 1997. Quant au monde occidental, il en était réduit à spéculer sur les capacités de résistance de Pékin face aux sirènes de la dévaluation.

Vu d'Europe, deux déferlantes se sont abattues sur l'Asie. L'une, la crise financière, a porté son onde de choc dans la région et au-delà ; l'autre, les terribles inondations, a noyé en quelques semaines de vastes étendues en Chine du Centre. Si la République populaire a été relativement peu touchée par la crise, au sens où ses effets ne sont en rien comparables au séisme qui a ébranlé l'Indonésie, la Thaïlande ou la Corée du Sud, elle le doit avant tout à un manque d'ouverture sur l'extérieur, qui a constitué un véritable rempart : le marché chinois des capitaux n'est pas déréglementé, le yuan n'est pas totalement convertible, les banques étrangères ne peuvent pas opérer en monnaie locale.

Les images terribles des flots incontrôlables du Yang-tseu ont fait le tour du monde, comme celles de la mobilisation des soldats de l'Armée populaire dans la bataille contre les eaux.

Quand le Yang-tseu sort de son lit...

Et l'ampleur de la catastrophe a été manifeste quand il a fallu faire sauter des digues pour détourner sur les champs et les villages les eaux qui menaçaient les grandes villes. Étrange retournement de l'histoire qui veut que ce régime, né d'un soulèvement paysan, ait dû faire le choix de sacrifier la campagne pour sauver le monde urbain. S'il est vrai les autorités n'ont pas fait mystère de ce choix, en revanche, elles se sont employées à faire en sorte que l'information baigne dans une certaine opacité – les correspondants étrangers étaient interdits sur les lieux les plus sinistrés – en minimisant notamment les conséquences humaines et matérielles des inondations. Toutefois, des sources bien informées ont fait état de l'existence à Pékin de débats, certes feutrés, sur les carences d'un système qui a laissé vieillir les digues sans trop se préoccuper de leur entretien ou sur les responsabilités de ceux qui n'ont rien fait pour empêcher l'utilisation forcenée des sols, celle-ci aurait alors gommé les aires d'épanchement traditionnelles des eaux du fleuve. On confessera volontiers qu'il s'agit là d'une affaire intérieure. En revanche, le black-out imposé par Pékin sur nombre d'aspects du désastre n'est pas bon signe dans la mesure où la crue du Yang-tseu aura fatalement des répercussions sur la croissance du pays et donc sur sa capacité à maintenir un autre cours, celui du yuan, dont il suffit d'évoquer une éventuelle dévaluation pour faire frémir tous les gouvernements, de Washington à Tokyo en passant par les chancelleries d'Europe.

La crise a éclaté dans un ciel économique que les dirigeants chinois considéraient comme serein. On vantait volontiers à Pékin une inflation maîtrisée et un taux de croissance sous contrôle à environ 8 %, l'essentiel requis pour écarter le risque de surchauffe. Pour n'avoir pas subi les sort des Philippines, par exemple, la Chine n'en a pas moins été touchée. Le manque d'ouverture a certes joué le rôle de rempart que l'on évoquait plus haut, mais les autorités ont toutefois dû colmater quelques brèches. Ainsi, les grands groupes chinois et la Banque de Chine ont été contraints de se départir de nombreuses devises pour soutenir le dollar de Hongkong. Quoi qu'il en soit, même avec une balance des paiements excédentaire, une dette extérieure surtout composée d'emprunts à moyen et long terme et des réserves de changes considérables, la Chine n'en connaîtra pas moins un ralentissement de son activité alors qu'elle doit mener un vaste programme de dénationalisation des entreprises publiques ; une affaire que l'on sait lourde de conséquences sur le plan social.

... le cours du yuan se maintient à grand-peine

Compte tenu de la tempête monétaire dans laquelle se sont trouvées prises la plupart des économies asiatiques, les crues du Yang-tseu sont intervenues au pire moment. À l'entrée de l'automne, on estimait que les inondations pourraient coûter jusqu'à un demi-point de croissance en 1998. Dé plus, elles devraient accentuer le ralentissement économique et, surtout, pourraient remettre en cause la capacité des autorités à poursuivre une politique du yuan fort. On l'a dit, l'hypothèse fait frémir. Il est vrai que la compétitivité des produits chinois à l'exportation a été mise à mal par le plongeon des autres monnaies asiatiques. Ainsi, le cours officiel du yuan, qui n'a pas varié contre le dollar, s'est apprécié de 40 % face au won sud-coréen et de 80 % face à la roupie indonésienne. La baisse de l'activité industrielle et de la consommation dans des pays comme la Corée du Sud ou l'Indonésie a entraîné une baisse de la demande en produits chinois. Rappelons que la moitié des exportations chinoises est absorbée par l'Asie. L'érosion de la compétitivité de la Chine s'est rapidement traduite dans les chiffres : le rythme de progression des exportations chinoises s'est établi à 9 % au premier trimestre 1998, contre près de 30 % un an plus tôt. Les effets de la détérioration de l'environnement économique et monétaire dans la région sur la croissance se sont également fait sentir rapidement. Ainsi, la Caisse des dépôts et consignations estimait que « la contribution du commerce extérieur à la croissance était devenue négative ». Après avoir progressé de 9,6 % en 1996, puis de 8,8 % en 1997, le PIB n'avait augmenté que de 7 % en rythme annuel au cours du premier semestre 1998.