Certes, cet échec ne remet pas en cause la légitimité de son élection en 1995. Mais l'aspect référendaire de cette consultation ratée donne des arguments aux partisans d'une réforme de la Constitution, avocats du quinquennat et d'un régime présidentiel à l'américaine.

Vers le quinquennat ?

C'est vrai, la cohabitation semble être appréciée par les Français. Mais si les deux précédentes ont bien fonctionné en ne provoquant pas une paralysie de l'appareil d'État, celle qui s'ouvre est d'une nature très différente. D'abord, en théorie, par sa longueur, cinq ans au lieu de deux pour les deux premières cohabitations. Ensuite parce que c'est le chef de l'État lui-même qui l'a provoquée en anticipant le calendrier, alors que, en 1986 et 1993, il s'agissait du terme normal de la législature. Son prédécesseur était moins impliqué dans la défaite de la majorité sortante. En juin 1997, le désaveu est plus clair pour l'homme de l'Élysée. Deux légitimités différentes se retrouvent, l'une à l'Élysée, l'autre à Matignon, jusqu'en... 2002.

Devant la fréquence des cohabitations et la durée de celles-ci, mettant en avant la panne de l'appareil de décision et la guerre des légitimités qu'elle peut provoquer, nombreux sont les politiques et les constitutionnalistes qui se prononcent pour le quinquennat présidentiel. Un quinquennat qui permettrait, pour le politologue Nicolas Tenzer, d'instaurer un régime présidentiel à la française : il y aurait simultanéité de l'élection de l'Assemblée et du chef de l'État pour 5 ans, ce dernier conserverait le privilège de dissoudre en cas de désaccord, mais ce droit devrait s'accompagner d'une démission du président.

Pour l'heure, le locataire de l'Élysée préfère, à une réforme des institutions, jouer la carte d'une cohabitation courtoise. Cet héritier du gaullisme n'entend pas toucher à l'œuvre du fondateur de la Ve République et veut montrer, au contraire, une fois encore, que le système peut s'adapter à cette nouvelle donne.

B. M.

« Mon rôle, c'est... »

« ... de veiller à ce que, chacun à sa place et respectant l'autre, nous servions tous ensemble des valeurs qui nous dépassent... »

« ... de lutter pied à pied pour que la France tienne son rang, assure sa sécurité... »

« ... de préserver les acquis européens... »

« ... de garantir l'équilibre de notre société et, en particulier, la solidarité, la cohésion et donc notre système de protection sociale... »

Jacques Chirac, le 7 juin 1997, devant le congrès de la Fédération de la mutualité, à Lille.

Blair-Jospin : une nouvelle gauche européenne ?

Pour la première fois depuis 1951, des gouvernements de gauche siègent en même temps à Paris et à Londres. Cependant, entre le socialiste Lionel Jospin et le travailliste Tony Blair, le courant ne passe pas vraiment. Il est vrai que les deux hommes incarnent deux conceptions très différentes de la gauche. Le premier gouverne avec les communistes, tandis que le second s'accommode de l'héritage libéral de Margaret Thatcher ! Il n'empêche : avec Jospin et Blair, l'Europe sociale pourrait y trouver son compte.

Si, entre les Verts, les communistes et les socialistes au gouvernement, la France affiche une majorité plurielle, l'Europe, elle, de son côté, avec 13 gouvernements sociaux-démocrates sur 15, peut se vanter d'afficher une gauche plurielle ! À ce point qu'on se demande, en effet, quels sont les points communs entre un Lionel Jospin et un Tony Blair, les petits derniers, en charge, à un mois d'intervalle à peine, des responsabilités de leur pays ? Tout semble les séparer. Leur âge, leur culture et, surtout, leur façon de décliner le socialisme ! La petite histoire ne veut-elle pas que Tony Blair ait refusé l'offre que le premier secrétaire du PS lui avait faite de venir le soutenir en Grande-Bretagne lors de sa campagne électorale ? Pour le patron du New Labour, qui, depuis belle lurette, a fait sa révolution culturelle en balayant les idéologies et en admirant pêle-mêle Margaret Thatcher et Bill Clinton, son « homologue » français faisait figure de dangereux gauchiste ! À l'inverse, Lionel Jospin ne cachait pas ses réserves à l'égard de ce « moderniste » prompt à vanter les mérites de l'économie de marché. D'ailleurs, la droite française n'a-t-elle pas été la première à saluer sa victoire ?

L'État ou le marché

Il est vrai que Tony Blair, bénéficiant de l'usure des conservateurs, s'est fait élire sur un programme qui ne promettait pas le « grand soir ». Certes, il y a bien inscrit l'instauration d'un salaire minimal et la création d'un plan pour les jeunes, mais un centriste bon teint l'aurait signé des deux mains. Rien à voir avec le programme du PS. Si les deux chefs de gouvernement, par exemple, affichent une même détermination à lutter contre le chômage, ils proposent des solutions radicalement différentes pour y parvenir. Ainsi, le locataire du 10 Downing Street prône une plus grande flexibilité sur le marché du travail alors que celui de Matignon prend le contre-pied en se faisant l'apôtre du « tout État ». Quand les socialistes français inscrivent dans leurs priorités le passage à la semaine de 35 heures payées 39, les travaillistes hésitent encore à appliquer la réglementation européenne qui fixe à 48 heures la durée maximale du travail hebdomadaire ! Et tout est à l'avenant. Sur les privatisations ? Blair envisage de continuer sur la lancée des conservateurs, Jospin ne veut pas en entendre parler. Sur la fiscalité ? Le premier baisse celle des entreprises, le second l'augmente !