Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

Les élections au Pakistan

Désenchantement et amertume. C'est ainsi que la presse internationale a résumé les élections générales – renouvellement de l'Assemblée nationale et des Parlements locaux – qui se sont déroulées le 3 février 1997 dans un pays accablé par le sous-développement, bridé par la caste des féodaux et la nomenklatura des militaires, miné par la corruption, ensanglanté par les heurts intercommunautaires.

Appelés aux urnes pour la quatrième fois depuis 1988, bon nombre de Pakistanais auront eu le sentiment de choisir entre la peste et le choléra. Les deux principaux candidats ont en commun d'avoir été tous les deux Premier ministre et d'avoir connu l'humiliation d'être destitués par le chef de l'État. Nawaz Sharif, le leader de la Ligue musulmane, a conduit le gouvernement de 1990 à 1993 avant d'être brutalement congédié pour corruption et incompétence. Benazir Bhutto, la présidente du Parti du peuple pakistanais (PPP), s'est trouvée à deux reprises en charge des affaires : une première fois entre 1988 et 1990, et de nouveau entre 1993 et novembre 1996. C'est au nom des mêmes raisons qu'elle dut céder à deux reprises le pouvoir. Camouflet suprême, Benazir Bhutto a été limogée en 1996 par le président Farooq Leghari, celui-là même qui fut l'un de ses plus fidèles alliés.

Le retour de Nawaz Sharif

Bien que son premier mandat n'ait pas laissé un souvenir impérissable dans la mémoire des Pakistanais, Nawaz Sharif a pourtant réussi à offrir une victoire écrasante à son parti, emportant 134 des 217 sièges que compte le Parlement, devançant donc largement le PPP de Benazir Bhutto, qui a dû se contenter de 18 représentants. Quant à l'outsider haut en couleur, Imran Khan, ancienne vedette du cricket, malgré une virulente campagne menée contre la corruption, il aura perdu la partie : aucun des candidats du parti de la Justice ne siège à l'Assemblée nationale ni dans les assemblées régionales.

Nawaz Sharif bénéficiait du soutien du monde des affaires qui s'est souvenu que sur le plan économique il fut un bon Premier ministre ; à l'inverse de Benazir Bhutto dont le bilan économique est jugé désastreux. Sous son règne, le Pakistan a bien failli connaître la banqueroute : une dette extérieure de 28 milliards de dollars, une inflation de 12,3 %, un budget de la Défense représentant 30 % des dépenses de l'État et des réserves de devises en chute libre en 1996.

Représentant les aspirations de la haute et moyenne bourgeoisie face à la puissance des grands propriétaires féodaux, symbolisés entre autres par Mme Bhutto, Nawaz Sharif se trouve confronté à une tâche immense : redresser la situation d'un pays surendetté, poursuivre la libéralisation de l'économie et donc regagner la confiance des investisseurs. Mais c'est sans doute sur sa volonté réelle de lutter contre la corruption que le Premier ministre sera jugé.

Au cours de la campagne électorale, Nawaz Sharif s'est engagé à renouer le dialogue avec l'Inde : « Nous devons nous asseoir autour d'une même table avec les Indiens afin de trouver une solution au contentieux du Cachemire », avait-il affirmé, ajoutant : « Si l'on dialogue, on est forcé d'arriver à des résultats. »

Le Premier ministre a également été invité à donner son sentiment au sujet de l'Afghanistan, notamment sur le point épineux du soutien du Pakistan aux talibans, ces musulmans ultra-traditionalistes au pouvoir à Kaboul depuis 1996. À cette occasion, il a pu avancer que « cette politique devra are révisée car il est hors de question de soutenir une faction afghane contre une autre ». Il reste à savoir de quelle marge de manœuvre dispose Nawaz Sharif dans un pays aux pouvoirs éclatés, où les services secrets constituent une sorte d'État dans l'État et où les militaires demeurent encore tout-puissants. Si l'on en croit Mme Bhutto, l'espace dont dispose son successeur paraît bien mince, car aucun Premier ministre, selon elle, ne contrôle totalement les différentes institutions.

Une démocratisation bien fragile

Outre la dégradation de la situation économique, Nawaz Sharif est confronté à la montée d'un terrorisme mystérieux – depuis 1996 des attentats à la bombe ensanglantent la province du Pendjab – et à la persistance de l'affrontement entre des membres de la majorité sunnite et de l'importante minorité chiite. Rien n'incite à l'optimisme. Depuis sa naissance en 1947, le Pakistan, qui devait être le havre des musulmans de l'Empire britannique des Indes, n'est pas parvenu à se forger une identité nationale. Aux clivages religieux s'ajoutent des clivages ethniques – entre Penjabis, Sindhis, Baloutches et Pathans – qui ont des effets délétères sur le moral d'un pays où il paraît impossible de se définir autrement que négativement, c'est-à-dire contre l'ennemi héréditaire indien. Cinquante ans plus tard, c'est peu d'écrire que la situation y est complexe tant le Pakistan illustre l'échec d'un nationalisme fondé sur la seule religion. Le pays a atteint un seuil critique qui fait que les partisans de la démocratie parlementaire semblent acculés à la défensive. Une double menace pèse aujourd'hui sur la nation. Le premier danger serait celui d'une solution militaire qui marquerait brutalement la fin de la démocratisation engagée en 1986. Le second serait celui du recours islamiste, qui, lui, sonnerait le glas de la timide modernisation de la société civile. De nombreux électeurs qui se sont rendus aux urnes pour choisir leurs élus parmi les 6 289 candidats disent avoir perdu la confiance en leurs dirigeants, jugent avec sévérité les huit dernières années de la démocratie retrouvée et estiment n'avoir aucun contrôle sur ceux qui les gouvernent. Si un sondage du Herald a pu toutefois mettre en lumière l'attachement de la majorité des électeurs à la démocratie, il reste que ces derniers n'accordent qu'une relative confiance à leur nouveau Premier ministre pour conjurer ce double péril.