L'Angleterre des travaillistes

Conformément à tous les sondages, le Parti travailliste conduit par Tony Blair a mis fin à dix-huit ans de pouvoir conservateur. Une élection sans surprise qui a soldé une campagne assez terne et sans vrai débat économique, eu égard aux similitudes des programmes de John Major et de Tony Blair. Il est vrai que le travaillisme incarné par son jeune leader n'a plus grand-chose en commun avec son homologue des années 80.

M. Blair dispose d'une majorité sans précédent à la Chambre des communes, qui lui assure quasi automatiquement un deuxième mandat. Il faudrait en effet un revirement énorme de l'électorat pour que les tories reviennent au pouvoir. Après avoir perdu 178 sièges, les conservateurs ne peuvent guère prétendre être autre chose qu'une force d'opposition symbolique. Selon le quotidien The Independant, « un autre parti est mort. C'est le Parti travailliste des années 80, avec son attachement aux nationalisations, à une fiscalité redistributive, aux accords privilégiés avec les syndicats, et son opposition au Marché commun ». Un diagnostic de nature à inquiéter les élus de la gauche travailliste. Ces derniers ne pourront pas peser sur le Premier ministre dans la mesure où ce dernier n'aura aucune peine à trouver les 330 voix requises pour obtenir la majorité d'une Chambre de 659 élus. Minoritaires, les eurosceptiques du Labour ne sont pas en mesure de contrarier la politique européenne que le chef du gouvernement entend mener. De l'Europe, il a été fortement question tout au long de la campagne. D'ailleurs, tous les commentateurs politiques se sont accordés pour dire que les tories ont été victimes de leurs divisions à ce sujet.

Le cabinet Blair

Contrairement à la tradition, plusieurs membres du cabinet fantôme ont changé d'attribution. En raison des échéances européennes, la personnalité du secrétaire au Foreign Office, Robin Cook, a retenu l'attention. Défendant une vision très personnelle de son rôle, ce dernier a empêché la nomination à un poste ministériel sur l'Europe du patron de BP, sir David Simon, préférant avoir à ses côtés comme secrétaire d'État aux affaires européennes un Écossais comme lui, Doug Henderson, qui passe pour un pro-européen modéré. Les Affaires sociales ont été confiées à Harriet Harman. Chargée du dossier prioritaire de la sécurité sociale, elle fait équipe avec un secrétaire d'État, Frank Field, connu pour ses idées révolutionnaires sur le Welfare State et dont on se souvient qu'il a longtemps présidé la commission des Communes sur la sécurité sociale. Nomination tout aussi attendue que celle de Donald Dewar, qui se trouve en charge des Affaires écossaises. Cet avocat doit superviser la mise en place du processus de dévolution. Mais c'est Gordon Brown, le nouveau chancelier de l'Échiquier, qui a créé la première surprise en annonçant l'indépendance partielle de la Banque d'Angleterre. Celle-ci est désormais habilitée à fixer elle-même les taux d'intérêt. Jusqu'alors, le chancelier de l'Échiquier, et lui seul, pouvait fixer le loyer de l'argent à court terme après consultation avec le gouverneur. Il appartient désormais à un « comité de politique monétaire » de la Banque d'Angleterre de fixer le taux directeur. L'action de ce nouvel organisme est déterminée par un objectif d'inflation à atteindre, lequel se trouve fixé par le ministre des Finances. La décision de M. Brown a été rapidement saluée par les marchés financiers qui ont réagi très favorablement à la hausse du taux de base (fixé à 6 % depuis le mois d'octobre 1996, il a gagné un quart de point). Une mesure qui a mis un terme aux spéculations selon lesquelles le pouvoir travailliste mènerait une politique de dévaluation compétitive de la livre.

Les premières mesures des travaillistes

Il n'a pas fallu attendre longtemps pour connaître les priorités du nouveau gouvernement, ce dernier ayant choisi de commencer son mandat sur un rythme soutenu. On a pu le vérifier lors du discours d'intronisation du cabinet travailliste : jamais la reine Élisabeth II n'avait dû annoncer tant de projets de lois : un total de 22, sans compter les 4 non cités dans son intervention et les 3 livres blancs préliminaires à de nouvelles lois. Parmi les chantiers les plus importants, on retiendra la priorité donnée à l'éducation, la réforme du système de santé et l'instauration d'un SMIC. Si le domaine social et les thèmes de la vie quotidienne ont été au cœur de cette première salve législative, les réformes constitutionnelles ont été qualifiées d'historiques : ainsi du référendum en Écosse et au pays de Galles sur la création d'un Parlement local, d'une consultation populaire sur l'élection d'un maire pour Londres, un mandat que Mme Thatcher avait aboli. Partie de la démocratie parlementaire, le Royaume-Uni va en outre être doté d'une déclaration des droits de l'homme avec l'incorporation de la Déclaration européenne au droit britannique. Une première constitutionnelle dans un pays de tradition qui n'a pas de loi fondamentale écrite. M. Blair devra sans aucun doute bousculer une procédure parlementaire complexe pour réaliser ce programme particulièrement ambitieux.

L'Europe, un chantier délicat

Le 5 mai, le nouveau secrétaire d'État chargé des Affaires européennes, Doug Henderson, a donné le ton dès la première session de travail de la Conférence intergouvernementale (CIC) chargée de compléter le traité de Maastricht. Il a pu déclarer à cette occasion : « Nous voulons tirer un trait sur le passé et donner un nouveau départ aux relations entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne. » À bien des égards, la position de Londres s'est assouplie concernant certains dossiers, comme l'application de la simple majorité qualifiée – et faciliter ainsi la prise de décision au sein du Conseil – ou le souci d'une Europe plus sociale. Toutes choses qui étaient loin d'être la tasse de thé du gouvernement sortant. Rupture identique au sujet de la monnaie unique. Là, l'attentisme a fait place à l'opposition sans nuances défendue jusqu'alors par les tories. Dans le même esprit, le chef du New Labour a confirmé la volonté de son gouvernement de renoncer à la clause d'exception, exigée en 1991 par M. Major lors de la conclusion du traité de Maastricht : il s'agissait alors de ne pas appliquer les dispositions du protocole social adopté par ses partenaires. Par ailleurs, le Premier ministre s'est dit favorable à l'inclusion dans le traité d'un chapitre sur l'emploi. En revanche, Tony Blair n'a pas caché le peu d'enthousiasme que lui inspire le projet de fusion par étapes de l'Union de l'Europe occidentale (UEO, seule organisation européenne habilitée à traiter des questions de Défense) dans l'Union européenne. Une position qui est diamétralement opposée à celles défendues par l'Allemagne et la France. Enfin, au sujet de la sécurité intérieure, Londres n'entend pas revenir sur les dispositions concernant le contrôle aux frontières : les Britanniques veulent se garder eux-mêmes et refusent de transposer cette mission aux frontières extérieures de l'Union. Quoi qu'il en soit, les partenaires de la Grande-Bretagne dans l'UE n'ont pas dissimulé la satisfaction que leur inspire l'aggiornamento européen des travaillistes. En résumé, le gouvernement Blair a défini les quatre priorités de son action : faire de son pays un acteur de premier plan en Europe ; donner comme tâche à ses ambassadeurs de promouvoir le commerce et la coopération économique ; placer les droits de l'homme et l'environnement au cœur de sa politique européenne ; intégrer la politique étrangère dans le débat de politique intérieure. Tony Blair a rappelé qu'il entendait conduire le changement « sans considération de dogme ni de doctrine ». Un pavé dans le jardin de son aile gauche.