Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

La fermeture de l'usine Renault à Vilvorde

L'affaire de Vilvorde est exemplaire à plusieurs égards : elle est un des premiers véritables conflits sociaux à l'échelle européenne, mobilisant les opinions dans au moins trois pays, Belgique, France et Espagne, où Renault est très présent. Par ailleurs, elle a montré comment la logique industrielle l'emportait sur la volonté politique. Malgré l'arrivée d'un gouvernement de gauche à Paris, il a fallu s'incliner devant une décision jugée inéluctable par la direction de l'entreprise.

Le marché automobile français n'affiche pas une santé florissante. Au premier semestre de 1997, la chute des immatriculations a atteint un niveau record avec une baisse de 30 %. Le groupe Renault où l'État, actionnaire de référence, ne détient plus que 46 % des parts, n'échappe pas à cette morosité ambiante. Il va mal. En 1996, il a affiché, après neuf exercices bénéficiaires, une perte de 5,2 milliards de francs (pour un chiffre d'affaires de l'ordre de 175 milliards de francs, au neuvième rang mondial, derrière General Motors [720 milliards], Ford, Toyota, Nissan, Volkswagen, Daimler-Benz, Chrysler et Honda). Ses coûts sont trop élevés, il doit les réduire, ainsi que le nombre de ses unités de production en Europe. Une restructuration s'impose pour faire face à la concurrence internationale, d'autant qu'à l'aube de l'an 2000, aucun quota ne viendra plus gêner les constructeurs asiatiques.

C'est dans ce contexte que, en début d'année, Louis Schweitzer, le P-DG du groupe, ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius à Matignon, annonce une série de décisions pour tenter de redresser le groupe : plan social concernant 3 000 salariés en France, mesures d'économie portant sur 20 milliards de francs, filialisation du réseau commercial et, surtout, annonce de la fermeture du site belge de Vilvorde employant 3 100 personnes.

Un sursaut éphémère

La brutalité de l'annonce, sans aucune concertation préalable, provoque l'indignation de la classe politique française, rafraîchit passablement les relations franco-belges et désigne comme bouc émissaire de cette logique industrielle implacable l'Europe de Maastricht. Une Europe qui, selon beaucoup, sacrifie le social au culte du monétarisme. Mais la première « euro-grève », le 7 mars, dans différents sites du groupe comme l'impressionnante manifestation de près de 100 000 personnes, le 16 mars, à Bruxelles, à laquelle participent syndicalistes, hommes politiques belges et ténors de la gauche française, et les différentes décisions de justice par les tribunaux de Bruxelles, Nanterre et Versailles, ne feront pas plier Louis Schweitzer. « Cette fermeture est une question de survie pour le groupe », répète-t-il.

Vilvorde devient un symbole – celui d'une Europe guidée par la seule logique économique et monétaire – et l'un des enjeux de la campagne électorale qui s'ouvre au mois d'avril en France et où l'Union européenne, justement, est au cœur des débats. Le 5 mai, Lionel Jospin, imprudemment, répond favorablement aux syndicalistes belges qui lui demandent s'il est prêt à revenir sur la décision de fermeture de l'usine. Le 7 juin, alors Premier ministre, il doit rectifier le tir face à son homologue belge, Jean-Luc Dehaene, en affirmant : « Sur ce dossier, ce n'est pas le gouvernement qui décide. »

Le principe de réalité

Il n'empêche : tenu par ses promesses de candidat et soumis à la pression de sa majorité « plurielle », Lionel Jospin pour calmer les impatiences et ne pas donner, dix jours après son installation à Matignon, l'impression de se déjuger, demande, le 10 juin, au P-DG du groupe Renault de confier à un consultant extérieur la mission d'étudier toutes les solutions alternatives à la fermeture. Daniel le Kaisergruber, une normalienne spécialiste de l'industrie, est désignée. Ses conclusions sont accablantes pour ceux qui croyaient encore au miracle. Constatant la surcapacité industrielle de Renault et la dispersion de ses sites. Mme Kaisergruber reconnaît qu'il faut fermer un site, que la réduction du temps de travail n'est pas une alternative et que le site le plus vulnérable s'appelle... Vilvorde. Seule mais maigre satisfaction : l'amélioration sensible du plan social envisagé.