Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

César au Jeu de paume

De juin à octobre, la galerie nationale du Jeu de paume, installée dans les jardins des Tuileries désormais restaurés, a organisé une rétrospective César, réunissant quelque 150 œuvres et retraçant ainsi près d'un demi-siècle de création du plus célèbre sculpteur français vivant.

Consacré à la Biennale de Venise en 1995, César avait opté pour la monumentalité en proposant une énorme compression de ferraille de plus de 500 tonnes, occupant tout l'espace du pavillon français. Surenchère ou aboutissement, cette œuvre qui, par sa démesure, devenait performance, avait marqué une étape dans la réception critique récente de l'œuvre. Par ce remplissage d'espace, l'œuvre rappelait « l'Exposition du plein », que son ami Arman avait réalisée en octobre 1960 dans la galerie Iris Clair, en réponse à « l'Exposition du vide » organisée, quelques mois plus tôt, dans le même lieu par Yves Klein. Réunissant des débris de carcasses d'automobiles, l'œuvre de Venise jouait sur l'obsolescence de la marchandise, l'accélération des procédures de recyclage, la transformation des matériaux et, plus généralement, sur le principe de destruction. Sans doute avec un excès de lyrisme, l'écrivain Philippe Sollers, dans son commentaire intitulé « Guerre de César », assimilait ces compressions aux figures allégoriques de la dévastation guerrière, aux vestiges des bombardements, notamment ceux de Bosnie. L'œuvre se chargeait d'une gravité que l'on avait probablement oubliée, tant l'auteur, qui ne dément pas ses origines marseillaises, est connu pour son goût rabelaisien de la vie. Deux ans plus tard, alors qu'il avait reçu entre-temps le prestigieux Praemium Imperiale (l'équivalent japonais d'un prix Nobel des arts), César a donc de nouveau été mis à l'honneur, par une exposition de premier plan.

César et la presse...

César s'approvisionnait en ferraille découverte à la décharge de Gennevilliers. C'est là qu'il se laisse subjuguer par une machine à laquelle nul n'avait songé encore à prêter des vertus créatrices... la presse industrielle. Témoignage : « Une tonne de métal sortie de la presse hydraulique, ça a de quoi vous étonner, quand on passe une vie à imprimer le fer de sa marque, à en percer l'intime secret, à en surmonter les exigences. Moi, je n'en suis pas revenu. J'ai d'abord été sensible à la présence de ces balles compressées (...). Certaines étaient plus belles encore que les autres. Je les ai choisies parce qu'elles étaient belles, et, un jour, je les ai exposées. » (César, l'Express, 2 juin 1960).

Un parcours par étapes

Le choix opéré par Daniel Abadie, conservateur du Jeu de paume, aura été sélectif, rigoureux, plutôt malthusien au regard d'une production particulièrement prolifique au cours de ces dernières années. Le parcours retenu pour l'exposition est un parcours chronologique, dans une succession maîtrisée de grands ensembles (fers soudés, compressions, empreintes, expansions...). Les petits fers soudés de la première époque, notamment la série des Insectes des années 50, accueillent le visiteur à l'entrée. Ils sont enfermés dans des boîtes de Plexiglas qui leur donnent un caractère objectal inoffensif : le Scorpion devient Sauterelle. On aurait aimé être mis en état de danger, mais on comprend déjà que les œuvres ne menacent plus. Ces animaux sont réalisés à partir de petits morceaux de ferraille soudés entre eux. Ce matériau, peu coûteux, offrait à l'artiste une liberté d'incision dans le vide que les techniques traditionnelles ne permettaient pas. Tous ces petits éléments composites forment un squelette organique, ouvert au regard. Des animaux et monstres dépecés, César passe au squelette décharné de l'Homme dans l'importante série des Nus et des Torses. Des corps fragmentaires comme l'Homme de Villetaneuse (1957-1959) campent sur des jambes filiformes qui fragilisent leur équilibre. La facture, plus sculpturale, est influencée par les œuvres de Germaine Richier.

Au tout début des années 60, les œuvres deviennent moins anthropomorphiques, à l'instar du Portrait de Patrick Waldberg (1961), réalisé à partir de tôles de voitures compressées contre une plaque monumentale d'acier. Le langage plastique de l'artiste devient délibérément plus abstrait. De ses débuts, César semble retenir un sens intuitif des matériaux alternatifs. Le sujet devient accessoire devant la présence du fer, de l'acier ou bientôt, sous une forme plus sensuelle, des plastiques et matières composites. C'est à cette époque qu'apparaissent les premières compressions qui font la réputation internationale de l'artiste. Il décide de se servir d'une presse industrielle pour compresser des épaves de voitures accidentées. Ses œuvres deviennent plus compactes, plus géométriques aussi, même si le hasard intervient de plus en plus dans un processus devenu industriel. Le relatif désengagement physique de l'artiste déléguant le « modelage » à la machine s'inscrit dans une certaine tradition dadaïste que revendique en partie le groupe des « nouveaux réalistes », auquel César adhère en 1960, aux côtés de Yves Klein, Arman, Villéglé, Hains... réunis par le critique d'art Pierre Restany. L'artiste n'est plus un démiurge qui forge la matière pour faire apparaître la forme. Il opère un choix dans la complexité du réel. Les trois premières grandes Compressions présentées au Salon de mai de 1960 sont à nouveau réunies dans l'enceinte du Jeu de paume. Elles surprennent moins aujourd'hui ; elles sont devenues un « trophée ». Le sculpteur a décliné ces compressions sur toutes les dimensions, et souvent à une échelle plus domestique comme l'indiquent quatre d'entre elles posées sur socle.