Fernand Léger au musée national d'Art moderne

De juin à septembre, au Centre Georges-Pompidou, une exposition a présenté avec une grande rigueur pédagogique l'œuvre de cet artiste qui s'est attaché à traduire une vision humaniste et optimiste du monde de l'ère industrielle.

L'exposition s'ouvre par un rassemblement, dans la première salle, d'œuvres « cézaniennes ». De Cézanne, Fernand Léger a retenu une volonté de reconstruire la forme défaite par les impressionnistes : « Sans Cézanne, je me demande parfois ce que serait la peinture actuelle. Cézanne m'a appris l'amour des formes et des volumes, il m'a fait me concentrer sur le dessin. » Léger reconnaît cependant les limites plastiques d'une gamme trop sombre, refuse les camaïeux cubistes et revendique très tôt, aux côtés de Robert Delaunay, un usage instinctif de la couleur qui annonce l'importante série des Contrastes de formes de 1913. Il n'abandonne pas pour autant l'architecture du « dessin ». La salle des esquisses préparatoires aux Contrastes est ainsi très révélatrice de la méthode adoptée par l'artiste. Elle révèle un visage de Léger souvent ignoré, celui d'un dessinateur hors pair, que l'on retrouve tout au long de l'exposition dans quelques salles d'art graphiques remarquables. « Traiter la nature par le cône, la sphère... » disait Cézanne. Léger prend cette prescription à la lettre. Il passe toutes les formes organiques et vivantes sous le filtre géométrique d'arêtes délimitant les surfaces où viendront ensuite se lover des couleurs vives et pures, primaires et tricolores (bleu, blanc et rouge). Léger emprunte cette gamme peu ordinaire au vocabulaire attractif des affiches de la ville nouvelle. Peintre de la vie moderne, il transcrit sur la toile l'état de la sensibilité contemporaine.

D'une rétrospective à l'autre

Une précédente rétrospective de l'œuvre de Fernand Léger avait eu lieu au Grand Palais en 1971. Elle rassemblait plus de 200 toiles et avait remporté un large succès auprès du public. L'exposition organisée par le musée national d'Art moderne s'est voulue plus sélective, plus sobre aussi. Avec 200 toiles, dessins et maquettes de projets d'art monumental, cette exposition a pris le parti d'offrir une anthologie sélective de l'œuvre, réunissant, dans un ordre chronologique scrupuleux, la plupart des œuvres majeures dans un parcours aéré, doté d'un éclairage soutenu qui accompagne l'esthétique des contrastes défendue par l'artiste. Le choix, plus restreint, des toiles est distribué par « périodes » ; il propose un découpage didactique de l'œuvre, qui permet d'en saisir plus facilement les ruptures et les évolutions.

Un réalisme poétique où l'humain garde sa place

C'est la représentation de ce monde nouveau qui occupe la seconde partie de l'œuvre de Léger, à partir de l'expérience de la guerre où, fasciné par la beauté plastique des canons (« la magie de la lumière blanche sur le métal »), il trouve une confirmation de la valeur esthétique des formes « dures », des surfaces métalliques et polies, ce qu'il appelle « l'absolu polychrome, net et précis, beau en soi ». L'objet prend alors une place décisive dans son œuvre, avec une prédilection pour l'acier des hélices et des outils de la société industrielle. La modernité, telle que l'entend Léger, est marquée par la transformation de l'individu au contact d'une mécanique de plus en plus présente dans les habitudes quotidiennes. À cette fin, Léger évacue tout sentimentalisme du projet de la représentation. Cela se traduit par l'apparition de figures inexpressives, simplifiées, archétypes : « Pour moi, la figure humaine, le corps humain n'ont pas plus d'importance que des clés ou des vélos. C'est vrai. Ce sont pour moi des objets valables plastiquement et à disposer suivant mon choix. »

Cette équivalence plastique entre l'objet et l'individu ne traduit pas l'inhumanité et la dépersonnalisation du monde moderne ; elle est au contraire chargée d'un optimisme « populaire » face au changement. Il s'agit seulement pour le peintre, directement concurrencé par les techniques modernes de fabrication, de produire un « état d'intensité plastique » susceptible de rivaliser avec la beauté rationnelle des productions industrielles. Dans cet esprit, Léger mise sur la valeur expressive des oppositions et des contrastes : « J'oppose des courbes à des droites, des surfaces plates à des formes modelées, des tons locaux purs à des gris nuancés. » L'œuvre fait apparaître un ordre dans le chaos apparent des contrastes grâce à ce que Léger appelle les « trois grandes qualités plastiques » : lignes, formes et couleurs. L'une des toiles-manifestes de ce parti pris formel est la Ville, peinte en 1919. Deux personnages, réduits à des formes géométriques aux couleurs métallisées, montent un escalier, au milieu d'un paysage urbain peuplé d'affiches et de poutrelles métalliques, de pignons bigarrés et d'inscriptions publicitaires qui retranscrivent l'intensité pulsative des multiples excitations sensorielles de la ville. Derrière la séduction réelle des couleurs, Léger tente une synthèse entre l'humanisme social et l'esthétique industrielle. Le corps présenté comme un ensemble parfaitement coordonné s'inscrit en harmonie avec son nouvel environnement.