Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

La réduction du temps de travail

Les 35 heures comme remède au chômage qui mine la société et comme moyen de satisfaire l'aspiration des Français au mieux vivre : le gouvernement Jospin respecte ses engagements électoraux. La controverse est vive. Avancée raisonnable ou folie économique ?

Le vendredi 10 octobre 1997 au matin, encadré par ses ministres Martine Aubry (Emploi) et Dominique Strauss-Kahn (Économie), Lionel Jospin reçoit la plupart des partenaires sociaux à Matignon, soit dix organisations patronales et syndicales. Cette « conférence de l'emploi, des salaires et du temps de travail » se déroule dans une bonne ambiance. Mais, lorsque le Premier ministre clôture la réunion en annonçant qu'il présentera une loi-cadre qui fixera, pour les grandes et moyennes entreprises, les 35 heures légales au 1er janvier 2000, le président du CNPF s'étrangle : « Si c'est la guerre, c'est la guerre ! ». Sur le perron de Matignon, il déclare : « Nous avons été bernés ! ». Trois jours plus tard, il démissionne de son poste, pour, dit-il, laisser la place à un « tueur ».

En mettant le cap sur les 35 heures, le Premier ministre sait qu'il lance la France dans une nouvelle aventure, dont l'enjeu considérable explique à lui seul la réaction dramatique du CNPF. Jamais un pays n'a tenté la gageure, et l'expérience française est observée avec un mélange de curiosité et d'inquiétude par l'ensemble des pays occidentaux.

Au départ, le gouvernement Jospin ne croit pas aux seules vertus des mécanismes du marché pour résoudre la crise actuelle. En effet, même une croissance très solide ne suffirait pas à faire baisser sensiblement le taux de chômage. Si l'activité augmentait de 3 % par an, le taux de chômage serait encore à deux chiffres au bout de cinq ans : autour de 11 % ! La seule façon d'aller plus loin est donc de partager le travail, de faire de la place aux chômeurs, par la contrainte légale et par les incitations financières.

35 heures ou 32 heures ?

De plus en plus nombreux sont ceux qui estiment qu'il est à la fois plus simple pour les entreprises et plus efficace pour l'emploi de passer non pas aux 35 heures mais aux 32 heures (avec une légère baisse du salaire, cependant). Pierre Larrouturou*, un ingénieur-conseil chez Andersen consulting, est devenu le principal apôtre de « la semaine de quatre jours ».

Premier argument : l'effet sur le niveau de chômage du passage aux 32 heures serait plus marqué. Une baisse de 4 heures de travail par semaine (soit moins d'une heure par jour) pourrait, dans certaines entreprises, être entièrement compensée par des gains de productivité ; ce serait beaucoup plus difficile si c'était une journée de travail par semaine qui disparaissait.

Deuxième argument : il serait plus facile pour une entreprise de s'organiser si tous ses salariés font tous une semaine de 4 jours. Remplacer une personne pendant une journée semble souvent plus simple que de complètement réorganiser l'entreprise pour que tout le monde travaille 7 heures par jour. Déplus, le temps d'utilisation des équipements (bureaux, machines...) ne baisserait pas.

Troisième argument : les cadres, qui travaillent plus de 10 heures par jour, ne profiteraient pas du passage aux 35 heures. En revanche, ils pourraient s'organiser pour libérer une journée par semaine.

Quatrième argument : les 35 heures risquent de ne se traduire que par « une heure de télé de plus par jour ». Permettre à chaque salarié de profiter d'une journée de plus par semaine, consacrée aux loisirs, à l'éducation ou à des activités associatives, pourrait, au contraire, déboucher sur un vrai changement de société.

Le schéma gouvernemental

Le plan proposé par le Premier ministre se veut pragmatique : une première loi lance le processus en accordant des aides aux entreprises qui passent aux 35 heures ; puis la négociation prend le relais dans chaque entreprise ; enfin, une seconde loi, prévue pour la fin de 1999, fixe une fois pour toutes la durée légale du travail et le tarif des heures supplémentaires. Cette loi sera plus ou moins contraignante en fonction de l'avancée des négociations et de la santé des entreprises. Si le processus est mal engagé, elle permettra de corriger le tir. La durée légale du travail n'a pour conséquence que d'imposer l'octroi d'un salaire supérieur (de 25 % actuellement) pour les heures effectuées au-delà de celle-ci. Si, au moment de la seconde loi, fin 1999, le gouvernement tient à ménager les entreprises, il pourra toujours décider de ne facturer que très légèrement les « nouvelles heures sup » (celles comprises entre la 36e et la 39e heure) : 10 % au lieu de 25 %, par exemple.