Benelux

Si les Pays-Bas et le Luxembourg font peu parler d'eux cette année, la Belgique occupe une nouvelle fois le devant de la scène : le malaise y est si grand qu'un horrible fait-divers provoque un vaste mouvement de contestation et suffit à raviver les interrogations sur l'avenir du pays.

Belgique : l'affaire Dutroux, un révélateur

Au départ, l'affaire Dutroux relève du droit commun. Depuis quelques années, plusieurs disparitions de fillettes et déjeunes filles avaient été signalées, tant en Flandre qu'en Wallonie. L'arrestation du chef d'un réseau de pédophilie, Marc Dutroux, conduit à une succession de macabres découvertes. À partir de là s'enclenche le processus de politisation du dossier, selon une double voie. La première emprunte les sentiers battus de la querelle entre Flamands et Wallons. Les résidences de Marc Dutroux se trouvaient toutes en Wallonie et l'amalgame est vite fait avec des scandales antérieurs ; on se remémore « les tueurs fous du Brabant wallon » ainsi que le mystérieux assassinat de l'ancien ministre liégeois André Cools (1991). Or – pure coïncidence –, l'on rouvre ce dernier dossier à l'occasion de l'arrestation d'un autre ancien ministre (socialiste wallon lui aussi), Alain Van der Biest, soupçonné d'avoir commandité l'assassinat d'un rival politique. L'on apprend en outre que Marc Dutroux percevait de substantielles allocations d'invalidité ; la révélation tombe mal, à un moment où les Flamands demandent la régionalisation de la sécurité sociale pour ne pas avoir à supporter le coût d'une Wallonie vieillie et fortement touchée par le chômage. Des journaux et des hommes politiques flamands fustigent alors la dégradation de la situation en Wallonie et dénoncent le Parti socialiste francophone, qui, s'il gouverne effectivement la région, appartient aussi à la majorité fédérale. Par ailleurs, le Parti socialiste flamand est à nouveau mis sur la sellette dans une affaire de pots-de-vin qui a fait grand bruit puisqu'elle aboutit à rien de moins qu'au lancement, en mai, d'un mandat d'arrêt international contre Serge Dassault. La déstabilisation d'une des composantes du gouvernement fédéral n'est cependant qu'un élément mineur de la crise politique. Marc Dutroux avait déjà été emprisonné et relâché pour bonne conduite avant le terme de sa peine ; des rapports de gendarmerie le désignant comme suspect avaient été ignorés par la justice, ce qui a probablement coûté plusieurs vies humaines. Des dysfonctionnements de l'appareil d'État (la police et la justice restent des attributions fédérales) apparaissent ainsi au grand jour ; pour se disculper, forces de l'ordre et magistrature vident leurs querelles sur la place publique. Le bruit court, sans preuves formelles à ce jour, qu'il ne se serait pas seulement agi de négligences, mais d'une protection organisée de « personnages haut placés ». En octobre, le dessaisissement du juge Jean-Marc Connerotte, qui avait eu le tort d'accepter une invitation des parents de victimes, scandalise l'opinion.

L'émotion est comparable à celle qui avait suivi la mort du roi Baudouin en 1993 ; mais elle joue cette fois contre l'État. Une pétition est lancée pour demander l'application de peines incompressibles aux auteurs de certains crimes ; elle obtient une audience sans précédent, avec 2,7 millions de signatures. Le 20 octobre, une marche sur Bruxelles pour la protection des enfants est organisée. Le Premier ministre reste très discret tout au long des débats parlementaires qui s'ensuivent alors que, fait inhabituel, le roi Albert intervient le 10 septembre pour demander que toute la lumière soit faite sur les affaires qui inquiètent le pays.

Pendant ce temps, la guerre des communiqués continue entre Flamands et Wallons. Les premiers veulent pousser plus loin l'autonomie des communautés et des régions, au risque de vider l'État fédéral de sa substance. En juillet, Claude Eerdekens, président du groupe parlementaire des socialistes francophones, évoque alors, dans l'hypothèse d'un éclatement de la Belgique, l'idée d'un rattachement de la Wallonie à la France. Menace réelle ou simple boutade, la déclaration a un écho considérable, d'autant que le président du gouvernement de Wallonie, Robert Collignon, renchérit en septembre en se disant prêt à envisager tous les « scénarios institutionnels ». Le courant rattachiste, très minoritaire en Wallonie, s'en trouve d'un coup conforté, même si l'idée ne semble pas prise très au sérieux du côté français.