Journal de l'année Édition 1997 1997Éd. 1997

Théâtre : une saison d'acteurs

Quand les metteurs en scène, qui tendent à occuper l'avant-scène depuis une trentaine d'années, montrent des signes de faiblesse, l'acteur reprend naturellement sa place première. C'est l'une des évolutions de l'année théâtrale, où l'on a vu successivement Peter Brook moins incisif dans ses deux dernières mises en scène (Oh les beaux jours, de Beckett, et Qui est là ?, travail sur le thème du spectre chez Shakespeare), Georges Lavaudant pris au piège d'un Roi Lear trop parodique, Alain Françon mal accueilli en Avignon pour une mise en scène glaciale d'Édouard II, de Marlowe, qui inaugurait le festival, Jorge Lavelli brillant, mais confronté à des œuvres moins fortes qu'auparavant (Arloc, de Serge Kribus), Jean-Pierre Vincent trop respectueux des défauts mélodramatiques d'un Nerval oublié, Léo Burckart... On ne saurait cependant généraliser et passer sous silence l'émergence de nouvelles personnalités (Patrick Beaunesne et Claire Lannes, respectivement remarqués pour leur mise en scène d'Un mois à la campagne, de Tourgueniev, et de Platonov, de Tchekhov), le remarquable retour de Jacques Lassalle, qui, cueilli à froid par une critique négative lors de ses derniers spectacles, avait annoncé sa volonté de renoncer au théâtre. Il n'en fit rien, et sa mise en scène d'Un homme difficile, de Hofmannsthal, a constitué l'un des plus beaux spectacles de la fin de saison : de la comédie d'un homme rentré de guerre et courtisé par plusieurs femmes, il fit une grande fresque douloureuse sur la solitude et l'indécision.

Les acteurs n'en furent pas moins les principaux centres d'intérêt des diverses programmations. À la Comédie-Française, le comédien d'origine polonaise Andrzej Seweryn s'est affirmé comme une personnalité hors du commun : en Léo Burckart, en comte dans les Fausses Confidences, de Marivaux, et dans cet Homme difficile (représenté à la Colline, les acteurs du Français ayant la permission de jouer dans un autre théâtre national). Ailleurs, le règne du vedettariat a caractérisé certains succès : le triomphe prolongé d'Un mari idéal, d'Oscar Wilde, avec Didier Sandre, Anny Duperey et Dominique Sanda ; la réussite de l'adaptation de la comédie de science-fiction d'Alan Ayckbourn, Temps variable en soirée, jouée par Dominique Lavanant et Zabou ; le retour de l'inusable pièce d'Albee, Qui a peur de Virginia Woolf ?, reprise par Myriam Boyer et Niels Arestrup ; la nouvelle consécration de Tsilla Chelton dans le Mal de mère, de Pierre-Olivier Scotto ; la transformation de Fanny Ardant en Callas dans Master Class, de McNally, pièce mise en scène par Roman Polanski... Parmi la jeune génération, Sandrine Kiberlain a su toucher immédiatement son public avec une comédie douce-amère, le Roman de Lulu, de David Decca, jouée en compagnie de Gérard Darmon.

L'affiche la plus attendue a été celle qui réunissait Alain Delon et Francis Huster dans la nouvelle pièce d'Éric-Emmanuel Schmitt, Variations énigmatiques. Alain Delon n'avait pas joué au théâtre depuis 1968 (où il interprétait les Yeux crevés, de Jean Cau, sa deuxième expérience théâtrale après Dommage qu'elle soit une putain qu'avait mis en scène Visconti). Sa prestation a fait salle comble. Si la réalisation du spectacle n'est pas déshonorante, l'événement est resté limité, Delon restant parfois trop extérieur, et la pièce – l'histoire d'un grand écrivain recevant un faux journaliste avec qui il avait partagé, sans le savoir, l'amour d'une même femme – tombant souvent dans les ornières du mélodrame. Au même moment, Jean-Paul Belmondo a commencé les représentations de la Puce à l'oreille, de Feydeau : il y joue un double rôle de sosie, également couronné par le succès.

Dans le secteur subventionné, plusieurs événements sont centrés sur le rayonnement des acteurs. C'est le cas d'En attendant Godot, de Beckett, qui réunit Marcel Maréchal, Pierre Arditi, Jean-Michel Dupuis et Robert Hirsch, ou bien de Démons, de Lars Noren, pièce pour laquelle Gérard Desarthe, dans le rôle du metteur en scène, a fait jouer ensemble Christine Boisson, l'une des plus grandes comédiennes d'aujourd'hui, et Marianne Basler.