Journal de l'année Édition 1997 1997Éd. 1997

L'année culturelle

Toulon a focalisé tout au long de l'année 1996 l'attention du monde culturel. Un monde resté apparemment étranger aux préoccupations du Front national pendant ses années de croissance. Sans doute celui-ci se trouvait-il fort démuni en la matière, faute d'exemples à citer et de créateurs amis. Le contrôle municipal de trois villes méridionales lui a permis de faire ses premières armes en la matière. À Orange, la bataille s'est portée sur la bibliothèque municipale, que la nouvelle équipe menée par Jacques Bompart souhaitait expurger de tout ce qu'elle jugeait « cosmopolite », et sur les Chorégies, dont le financement a été sauvé in extremis par le ministère de la Culture. À Toulon, où Gérard Paquet, responsable du Centre international de la danse et de l'image de Châteauvallon, avait refusé dès 1995 l'apport financier de la mairie emportée par Jean-Marie Le Chevalier, la situation est plus critique encore, puisque intervient dans l'affrontement Centre-mairie la position personnelle fort équivoque du préfet du Var, Jean-Charles Marchiani.

On l'a vu quand le groupe de rap NTM a été décommandé du Festival de Châteauvallon, on l'a vu lors du vote du budget du Centre de la danse. On l'a constaté quand la direction de Gérard Paquet a été remise en cause, toujours à Châteauvallon. Plus tard, en novembre, l'écrivain Marek Halter, invité d'honneur du Salon du livre de Toulon, s'est vu écarté à la demande du maire, qui souhaitait remettre le prix de la ville à Brigitte Bardot, auteur de Mémoires fort indulgents à l'égard de Jean-Marie Le Pen. Un contre-salon s'est donc tenu à La Garde en présence de M. Halter, de la quasi-totalité des éditeurs français, qui avaient boycotté l'invitation toulonnaise, et de Philippe Douste-Blazy, ministre de la Culture. Au même moment, on apprenait que le tribunal de Toulon infligeait des peines de prison ferme aux chanteurs du groupe NTM pour avoir tenu des propos insultants sur la police au cours d'un récital à La Seyne-sur-Mer. Chaque fois, les arguments sont les mêmes : nationalisme intransigeant, refus de toute altérité, dénonciation implicite de l'étranger facteur de troubles.

Par ses interventions répétées et ses déplacements ostensibles, le ministre de la Culture a nettement choisi de s'opposer à l'extrême droite. Ses prises de position ont été suivies d'actes : crédits alloués, soutiens accordés aux responsables culturels menacés. Lui-même justifie son action, rue de Valois, par des considérations politiques et sociales. Il continue de plaider pour une réduction de la « fracture sociale » par le biais de l'action culturelle. Il a d'ailleurs financé un certain nombre d'initiatives menées dans des quartiers difficiles. Il entend, parallèlement, relancer les enseignements artistiques dans les écoles : la France est, en effet, en la matière l'un des pays occidentaux les moins avancés, l'un de ceux où l'initiation aux arts ne fait pas partie des programmes scolaires primaires et secondaires.

Quel projet ?

Ces intentions évidemment louables peuvent-elles suffire à fonder une politique culturelle ? L'action culturelle dans les banlieues défavorisées est loin d'avoir prouvé sa puissance pacificatrice et sa force d'intégration. Le renouveau des enseignements artistiques prôné depuis des années par les ministres successifs est jusqu'à présent resté lettre morte face à la mauvaise volonté de l'Éducation nationale. Plus grave, le ministère de la Culture subit les avanies du ministère des Finances, sous prétexte de coupes claires et d'économies. Le budget de 1996 (15,54 milliards de francs) avait subi des collectifs budgétaires à répétition qui avaient singulièrement amoindri sa force d'intervention. Celui de 1997 (15,08 milliards de francs), annoncé à l'automne, est encore pire. En dépit d'artifices de présentation, dus en particulier à l'intégration de la direction de l'architecture au sein de la rue de Valois, c'est en réalité une chute de plus de 0,9 % qu'endure le budget de la Culture. Sans doute le ministre plaide-t-il la solidarité ministérielle par temps de crise. On constate néanmoins que la rue de Valois, dont le budget est l'un des plus infimes de la nation, est, proportionnellement, l'un des ministères les plus touchés.