La dialectique des contraires

Cette année encore, l'actualité internationale a semblé obéir à la loi de la dialectique. Comme si chaque événement heureux engendrait les plus grands malheurs ; comme si de chaque tragédie sortaient les germes d'un futur succès. Après la chute du mur de Berlin, en 1989, Francis Fukuyama, un des conseillers du président George Bush, avait cru pouvoir annoncer « la fin de l'histoire ». Mais le fleuve des événements a continué de couler et, comme le démontre 1995, il ne cesse de recommencer.

« La guerre arrête la guerre »

Après quatre années de guerre, le silence est retombé sur tous les fronts de l'ex-Yougoslavie. Les accords signés à Dayton, en novembre, organisent l'arrangement arraché par les États-Unis aux belligérants : Croates, Serbes et Musulmans. En Bosnie, les territoires ont été partagés, des frontières, redessinées, des institutions, mises sur pied. Enfin, pour empêcher le retour de la violence, les Casques bleus de l'ONU cèdent la place à des contingents de l'OTAN, mieux armés et renforcés par un corps expéditionnaire américain qui constituera le tiers des 60 000 soldats déployés.

Quel retournement ! Au printemps, les Serbes de Bosnie, discrètement soutenus depuis Belgrade par le président Slobodan Milosevic, se croyaient sur le point de réaliser la grande Serbie à coups d'épée. Humiliant l'Occident, ils prenaient en otage les Casques bleus et s'emparaient de Srebrenica et Zepa. Ces zones de sécurité, théoriquement protégées par l'ONU, furent aussitôt soumises à un impitoyable nettoyage ethnique.

Mais, en mai, l'armée croate, équipée par les États-Unis, se lance dans la reconquête des provinces perdues en 1991. Les Occidentaux se ressaisissent, poussés par Jacques Chirac, qui, fort de sa nouvelle légitimité d'élu, préconise la riposte. En août, l'artillerie franco-britannique de la FRR (Force de réaction rapide) écrase les cibles serbes autour de Sarajevo, tandis que les avions de l'OTAN frappent l'arrière-pays. Les Serbes doivent se résigner au compromis.

Démenti au « tout humanitaire » de François Mitterrand, la guerre a arrêté la guerre. Mais pour combien de temps ? Sur le statut de Sarajevo, le retour des réfugiés ou la durée de la présence de l'OTAN, les accords de Dayton ont laissé des ambiguïtés qui sont toutes des bombes à retardement.

Ces extraordinaires zigzags se retrouvent au Proche-Orient. Deux ans après leur poignée de main historique, qui, sur la pelouse de la Maison-Blanche, avait consacré la paix israélo-palestinienne, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat ont de nouveau rendez-vous à Washington pour signer, le 28 septembre, l'accord sur l'extension de l'autonomie en Cisjordanie. Malheureusement, un mois plus tard, Rabin est assassiné.

Comment imaginer que Rabin serait tué par un Juif ? Ygal Amir, l'assassin, est un extrémiste religieux qui ne pardonnait pas au Premier ministre de brader la terre de la Bible. Les Israéliens découvrent que leur démocratie ne les immunise pas contre le fanatisme. Mais, selon l'éternel jeu des contraires, l'application de l'accord israélo-palestinien n'est en rien enrayé. Sur ordre de Shimon Peres, le nouveau Premier ministre, l'armée israélienne poursuit l'évacuation des villes de Cisjordanie. Le sacrifice de Rabin va peut-être relancer la paix.

Sous la violence, les urnes

Selon la logique torturée des intégristes algériens, la campagne d'attentats dont la France est la cible de juillet à octobre obéit au moins à une raison claire. En transportant leur guerre de l'autre côté de la Méditerranée, les islamistes veulent obliger Paris à retirer son soutien financier au gouvernement d'Alger.

Dans ce conflit aussi, les excès déclenchent un résultat inverse à l'objectif recherché. Les Algériens savent bien que le pouvoir actuel est largement responsable des trente ans de gabegie qui ont fini par mettre le feu au pays. Mais ils sont de plus en plus nombreux à s'indigner des horreurs commises au nom d'Allah : tortures, décapitations, tueries de femmes et d'enfants...