Théâtre

Grands classiques, grands modernes

Le pouvoir donné (depuis des années) aux metteurs en scène, qui préfèrent souvent « relire » un classique – ou un moderne reconnu –, et l'attitude prudente du public, confronté à des prix de place de plus en plus élevés et à une proposition de spectacles pléthorique, semblent favoriser un repli vers le répertoire aux dépens des jeunes auteurs contemporains. Ariane Mnouchkine s'est tournée vers le Tartuffe de Molière (Festival d'Avignon et Cartoucherie de Vincennes) pour en faire un pamphlet flamboyant contre l'intégrisme. Marcel Maréchal, nommé à Paris pour la première fois, a inauguré sa direction du Théâtre du Rond-Point avec la trilogie des Coûfontaine de Claudel – montée dans un style plus prosaïque que mystique. Pour sa première mise en scène à la Comédie-Française, Roger Planchon a choisi Occupe-toi d'Amélie !, de Feydeau, pour en faire une satire bien modérée de la bourgeoisie.

Brecht a été l'un des auteurs de prédilection des animateurs : Mère Courage... a été mis en scène par Jérôme Savary et l'Opéra de quat'sous par Charles Tordjman, tous deux à Chaillot, la Bonne Âme de Se-tchouan, par Gildas Bourdet à la Criée de Marseille puis au Théâtre de la Ville... Cependant, ce recours aux valeurs sûres se double parfois d'une mise en cause du patrimoine et d'un réexamen du répertoire : Jean-Marie Villégier a poursuivi sa réhabilitation de pièces oubliées (Héraclius de Corneille à l'Athénée), tandis que la Comédie-Française, dirigée par Jean-Pierre Miquel, a pris le parti d'imposer des œuvres moins consacrées comme la Thébaïde, de Racine, ou Mille Francs de récompense, de Victor Hugo.

Auteurs contemporains

Malgré tout, certains auteurs d'aujourd'hui ont pu trouver leur public. Dans le circuit du théâtre dit « privé », c'est-à-dire peu subventionné et commercial, la comédie à la française a connu un renouveau avec la drôlerie quotidienne de Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui, acteurs-auteurs d'Un air de famille (théâtre de la Renaissance) et la double satire de l'art moderne et de la bourgeoisie par la subtile et brillante Yasmina Reza (Art à la Comédie des Champs-Élysées et l'Homme de hasard à Hébertot).

Dans le secteur public, Bernard-Marie Koltès, mort du sida en 1989, est devenu l'auteur majeur de sa génération (et l'auteur de théâtre français le plus joué à l'étranger) : Patrice Chéreau a réalisé et joué une troisième mise en scène de Dans la solitude des champs de coton (Manufacture des Œillets, à Ivry, dans le cadre du Festival d'automne) ; dans cette recréation interprétée par Pascal Greggory, le dialogue entre un dealer et un client a gardé son climat crépusculaire et pris une dimension plus physique, plus « sexuelle ».

Parmi les autres auteurs dont les œuvres ont compté, on peut retenir aussi Daniel Soulier dont Annie Girardot a joué les Chutes du Zambèze (Chaillot), Gildas Milin qui a mis en scène lui-même sa pièce l'Ordalie (Tempête) et le Québécois Daniel Danis dont Alain Françon a mis en scène Celle-là (Théâtre Ouvert) : trois tonalités œuvrant dans la noirceur ou la violence désespérée. Parmi les étrangers, la faveur est allée aux Anglais : Alain Françon a mis en scène d'une manière coupante et mémorable Edward Bond (Pièces de guerre, Festival d'Avignon 1994 et Odéon), Jorge Lavelli dans un style provocateur Steven Berkoff (Décadence, Colline).

Expériences, nouveaux langages

Certaines équipes ont su innover, soit dans leur façon de refléter la réalité sociale, soit dans l'esthétique. Un théâtre des banlieues est né ici et là : par exemple, à Mantes-la-Jolie, autour d'Ahmed Madani, metteur en scène d'œuvres collectives écrites à partir de témoignages et auteur lui-même (Rapt, Mantes-la-Jolie et Tempête), et à Stains (Féminins plurielles de Marjorie Nakache, pièce-document centrée sur les habitantes des cités, Studio-théâtre). Parmi les expériences de théâtre d'images, presque sans langage parlé, les plus remarquées ont été Voyageur immobile de Philippe Genty (Théâtre de la Ville), qui dépasse largement le contexte du théâtre de marionnettes dans lequel cet artiste s'est longtemps illustré, et l'Heure où nous ne savions rien de l'autre (Châtelet et Festival d'automne 1994), mis en scène par Luc Bondy d'après un scénario de Peter Handke Lumières I et II (à la MC 93 de Bobigny), spectacle de Georges Lavaudant, a donné l'exemple d'un théâtre associant divers auteurs (Bailly, Deutsch, Lavaudant) et un chorégraphe (Duroure) pour un exercice brillant mais gratuit qui entend renvoyer des images brisées de notre siècle né avec le cinéma des frères Lumière.

Grands acteurs

Beaucoup ont fait l'événement : Suzanne Flon créant la Chambre d'amis de Loleh Bellon (Petit Théâtre de Paris), Fanny Ardant jouant avec Niels Arestrup la Musica deuxième de Duras (Gaîté-Montparnasse), Robert Hossein portant au théâtre et jouant Angélique marquise des anges (Palais des Sports), André Dussollier et Nicole Garcia interprétant les Scènes de la vie conjugale de Bergman, Claude Brasseur en Napoléon à Sainte-Hélène dans la Dernière Salve de Jean-Claude Brisville (théâtre Montparnasse), Laurent Terzieff jouant Thomas Beckett dans Meurtre dans la cathédrale de T.S. Eliot (Atelier), Michel Bouquet et Rufus tenant les rôles de Hamm et de Clov dans Fin de partie de Beckett (Atelier)...