Marché de l'art

Tout s'est ligué contre le marché de l'art cette saison. Non pas la conjoncture elle même, plutôt favorable, mais une accumulation de circonstances extérieures purement hexagonales. La campagne électorale d'abord, qui frappe toujours d'attentisme les vendeurs comme les acheteurs et explique un chiffre de mi-saison en baisse de 5,6 % pour Drouot (alors que celui des Anglais progressait de 7 et 20 %). Dès le mois de juin, certes, les ventes reprenaient et le marché connaissait une légère embellie, mais sans résultats probants, malgré quelques belles enchères. Le climat s'est ensuite rapidement détérioré : si la reprise des essais nucléaires n'a pas suffi à détourner un collectionneur de l'hôtel Drouot, la vague d'attentats a eu un effet dissuasif ! Des raisons financières s'ajoutent à ces péripéties fâcheuses : la hausse de la TVA sur les importations éloigne du marché parisien les rares éventuels vendeurs étrangers (déjà à 18,6 % ils ne se bousculaient pas !), et la baisse du dollar incite les clients américains à rester chez eux. Pour couronner le tout, les grèves et manifestations de la première quinzaine de décembre ont réduit, sans les ruiner totalement, les effets du feu d'artifice qui marque traditionnellement la fin de l'année. Sans empêcher quelques enchères à plus de 5 millions. La même alternance de succès et d'échecs accueille les salons d'antiquités dont la prolifération étonne. Environ 25 par an à Paris et autant dans les départements périphériques. La Biennale de Monaco, en août, a été un succès plus mondain que commercial. L'échec de la FIAC, en octobre, traduit bien les mécomptes de l'art contemporain. Trois jours, 40 exposants et moitié moins de visiteurs. Il y a le feu à la maison ! Le bilan est plutôt positif en revanche (sans excès) pour le nouveau « Salon des beaux-arts » à Paris, consacré uniquement aux arts plastiques. Les Salons parisiens classiques (Bastille, Champerret, Branly, Auteuil, tour Eiffel, Mars...) se maintiennent tant bien que mal, mais finissent par se nuire. Les bons salons de province (Bordeaux, Antibes, Dijon, Rouen, Caen...) se portent plutôt bien. Quant aux brocantes, à Paris ou en province, elles trouvent toujours une clientèle. Tout n'est d'ailleurs pas négatif dans ce tableau. Les causes de la morosité étant extérieures au marché lui-même, pendant que certains s'inquiètent, les amateurs impénitents, eux, continuent leurs achats. Et pendant que Drouot fait grise mine, Sotheby's et Christie's prospèrent tranquillement et drainent vers Londres, New York et Monaco le contenu de nos demeures et châteaux !

Le syndrome de la signature

C'est pourtant à Paris que le mobilier classique a réalisé ses plus beaux scores : 6 268 000 F un bureau de pente en laque du Japon de BVRB et 5 653 000 F un bureau cylindre Louis XVI de Leleu. Auxquels il faut ajouter une demi-douzaine d'enchères au dessus du million pour des commodes, bureaux, sièges et consoles tant Louis XV que Louis XVI. Ces pièces de collection sont loin d'entraîner dans leur sillage l'ensemble du mobilier courant xviiie et xixe, dont les cotes sont toujours orientées à la baisse. Il en va de même pour le mobilier Arts déco, dont les créations les plus réussies et les grandes signatures trouvent toujours preneurs à des prix dignes d'elles, tandis que le bas de gamme et même l'anonyme de belle qualité restent pour le compte. Dans ce domaine, faute de vraie vente vedette, l'année 1995 n'a pas apporté de nouveaux records. Ce syndrome de la signature affecte plus encore le marché du tableau, et pas seulement à Paris. En novembre, un médiocre Sous-bois de Van Gogh genre « plat d'épinards » a été poussé jusqu'à 24,5 millions de dollars (110 MF) et un Picasso banal à 11 millions de dollars (53,7 MF). Du même Picasso, un rare collage de 1914 interdit d'exportation ne trouvait pas preneur à Paris aux 10-12 MF espérés, mais une aquarelle de Matisse s'adjugeait 9,3 MF, nettement au-dessus de son estimation, et demeure à ce prix la peinture moderne la mieux vendue cette année à Paris, plus que jamais mal lotie dans ce domaine ! La meilleure enchère de 1995 revenant, tous secteurs confondus, au portrait du ministre Ramel par David adjugé, frais compris, 16 630 000 F.

Un nu inédit

La saison a confirmé à nouveau Paris capitale de la bibliophilie, avec des ventes nombreuses qui tournent à moins de 10 % d'invendus. Si on ne voit plus, comme aux beaux jours de la spéculation, d'enchères millionnaires sur les reliures d'art du xxe siècle, plusieurs manuscrits médiévaux se sont adjugés à ce niveau de prix (un psautier enluminé du xiiie à 2,2 MF, par exemple) et des enchères à six chiffres accueillent souvent les ouvrages spécialisés illustrés du xvie au xviiie : médecine, histoire naturelle, botanique, voyages, architecture, etc. Bonne année également pour la photo ancienne, en progression de plus de 50 % sur 1994. Un daguerréotype de 1846 de Washington a été payé 925 000 F à New York et, à Chartres, un nu féminin inédit de Gustave Le Gray s'est adjugé 587 500 F.

La fin des gadgets

Si Paris n'a plus le leadership pour la haute joaillerie (aux enchères), elle demeure un marché clef pour l'art africain. Un marché très dépendant de la qualité de l'offre et des ventes à pedigree, moins généreuses que l'an passé. La collection Bellier nous a quand même offert une reine tschokwé à 1 439 000 F et un reliquaire obamba nzabi du Gabon à 1 218 000 F. Mais l'art africain tourne pourtant avec 30 % d'invendus car les collectionneurs se détournent des objets de basse ou moyenne gamme. Une clientèle plus nombreuse et plus variée anime le marché de l'art islamique, en spectaculaire expansion par rapport à l'an dernier. Des amateurs européens, maghrébins et orientaux pour des objets de haute époque et de haute qualité : céramiques, verres émaillés, cuivres damasquinés, manuscrits et miniatures, et, en haut du palmarès, un rare coran almohade du début du xiiie adjugé à près de 3 MF. Dans ce domaine encore, seul paie le haut de gamme : médiocrité s'abstenir ! Le même constat vaut pour les objets d'archéologie dont seuls les plus rares suscitent des enchères dignes de ce nom. Une tête de Sekhmet en granit gris de la XVIIIe dynastie égyptienne adjugée 1 663 000 F est seule à avoir passé le million à Drouot. On remarque en revanche le retour au néant du marché du gadget. Les Swatch, pin's, télécartes, bouteilles mignonnettes et autres étiquettes de camembert qui faisaient florès en 1992-1993, au lendemain de la crise, sont retournés à leurs clubs de collectionneurs exclusifs ! Peut-être faut-il y voir un signe de maturité pour un marché qui, depuis cinq ans, a du mal à retrouver ses repères.

Françoise Deflassieux