Expositions

Cézanne et Brancusi

L'année 1995 est un millésime de grandes rétrospectives offrant au public deux visions condensées sur les grands bouleversements de la modernité. C'est autour des cimaises blanc cassé que Lorenzo Piqueiras avait conçues pour l'exposition Schwitters (1887-1948) présentée jusqu'en février que le Centre Pompidou accueille l'importante exposition du sculpteur français d'origine roumaine, Constantin Brancusi (1876-1957). Il s'agit de la première grande rétrospective de cet artiste, pionnier de la sculpture moderne. L'entreprise était périlleuse compte tenu de la fragilité des œuvres maintenues dans des équilibres précaires. Dans une mise en scène simple mais sophistiquée, les sculptures sont rassemblées par groupes de quatre ou cinq œuvres sur des dalles en béton munies de systèmes de sécurité qui permettent à la fois de saisir l'intégrité des œuvres observables de toutes parts sans en être trop éloigné, et de comprendre les rapports mutuels qu'elles entretenaient dans l'atelier que l'artiste légua à l'État. On y découvre les influences décisives sur Brancusi à ses débuts de Rodin, mais aussi de l'Allemand Lehmbruck ou de l'art populaire de sa Roumanie natale. Ce sont surtout les formes simplifiées et stylisées, ovoïdes ou cubiques, qui caractérisent cette œuvre rapidement émancipée des modèles antérieurs pour fonder son propre langage, mélange singulier de primitivisme et d'abstraction, d'expressionnisme et de minimalisme, où l'on retiendra notamment l'amour du matériau (marbre, pierre ou bois poli) et le traitement spécifique du socle qui devient sculpture à part entière. L'exposition la plus médiatique et la plus prestigieuse a attendu la rentrée des classes. Il s'agit de la grande rétrospective Cézanne, présentée au Grand Palais d'octobre à janvier, et dont on annonce, comme on a déjà pu le faire pour d'autres grands monstres de la peinture moderne devenus excessivement chers en termes d'assurances, qu'elle sera la dernière à rassembler autant d'œuvres majeures du peintre de l'Estaque : plus de 200 peintures, dessins et aquarelles dont pas moins de 109 tableaux avec pour point d'orgue la réunion de deux des trois Grandes Baigneuses. Si l'exposition ne remet pas en cause la réception classique de l'œuvre, elle permet néanmoins – c'est son unique ambition – de parcourir l'ensemble de l'œuvre en ne privilégiant aucune période ni aucun thème, dans un parcours chronologique partagé en cinq sections qui retracent les cinq principales décennies créatrices de Cézanne (1860-1900). Le public découvre ainsi la première période, dite « couillarde », où l'artiste utilise une peinture épaisse presque façonnée à la manière du Van Gogh noir, puis il constate la progressive dilution de la touche, venue saisir, à la suite des impressionnistes de plein air, les effets de la lumière sur le paysage en substituant au modelage du clair-obscur la modulation des différents effets de viscosité de la peinture à l'huile amalgamée sur la toile par petites touches superposées. Cette exposition est saluée par une pléthore d'ouvrages de référence sur l'artiste : plus d'une cinquantaine d'ouvrages monographiques sont édités à cette occasion, ce qu'aucune exposition en France n'avait jusqu'à présent suscité.

Autres expositions

De nombreuses autres expositions, moins spectaculaires mais néanmoins de qualité, marquent aussi cette année. Au registre des monographies, le musée d'Art moderne de la Ville de Paris accueille simultanément les peintures de Marc Chagall et les sculptures de Louise Bourgeois. Du premier, le MAM présente les œuvres de la période dite « russe » (1907-1922), qui fonde tout le langage coloriste de sa production plus tardive. On y retrouve les grands tableaux aux personnages renversés. L'exposition présente aussi pour la première fois à Paris l'important projet décoratif réalisé par Chagall pour le Théâtre Juif de Moscou inauguré en 1920. Il s'agit d'un important ensemble de panneaux recouvrant près de 45 m2. De la seconde, sculpteur né en France en 1911 et installée aux États-Unis depuis 1938, l'ARC – l'antenne contemporaine du musée – a retenu un nombre important de pièces plutôt récentes, notamment les Chambres, sortes d'alcôves visibles de l'extérieur, construites à partir de vieilles portes récupérées formant un enclos dans lequel se lovent des objets intimistes et des sculptures en marbre d'une sensuelle solidité. Quelques mois plus tôt, le Cabinet d'art graphique du Centre Pompidou présentait ses dessins et la galerie Colbert de la Bibliothèque nationale un nombre important de ses gravures, rendant ainsi conjointement un hommage mérité à l'une des grandes dames de la sculpture contemporaine, qui aura attendu d'être octogénaire (Louise Bourgeois est âgée de 84 ans) pour enfin connaître une consécration en France. On n'est jamais prophète en son pays... Dans ce même contexte de la sculpture contemporaine, et consacrant aussi le travail plastique d'une femme, le musée de Grenoble présente une importante exposition de l'Allemande Rebecca Horn (née en 1944), qui, liée d'abord à l'art corporel, a progressivement introduit dans son travail des mécanismes sophistiqués où des objets – souvent des instruments de musique, violons ou pianos désarticulés – sont mis en branle dans d'impressionnantes « machineries célibataires ».

Architecture

L'architecture est aussi à l'honneur au musée des Arts décoratifs (avril-juillet) avec l'exposition « l'Architecture de la Renaissance italienne de Brunelleschi à Michel Ange », qui rassemble une quinzaine de maquettes dont le clou est celle, récemment restaurée, de Saint-Pierre de Rome, qu'Antonio da Sangallo réalisa entre 1539 et 1546. Cette question du modèle architectural, de la maquette et de son statut proprement artistique, est directement posée dans deux expositions contemporaines. La première a lieu en octobre au musée de Villeurbanne, (« Artistes/Architectes »). La seconde, intitulée « Architecture(s) », est présentée au même moment dans les salles du CAPC de Bordeaux et réunit des artistes utilisant le modèle architectural comme champ d'investigation plastique.