Littératures

Littérature française

Si l'on peut hasarder un sentiment général, ce serait celui d'un recours aux références, d'un refuge dans le passé, comme si les temps d'incertitude et de confusion des valeurs que nous vivons détournaient les écrivains de prendre directement leur époque pour sujet de roman.

Très caractéristique à cet égard, le premier semestre de 1995 fut ouvert par Milan Kundera avec la Lenteur (Gallimard), roman écrit en français par l'auteur de l'Insoutenable Légèreté de l'être, qui s'y est plu à susciter sur le mode de la dérision tout un système d'échos entre le xviiie siècle et notre époque. C'est aussi vers le passé que se tournait Julien Green dans Dixie (Fayard), qui conte la vie et les amours d'une jeune Londonienne réfugiée en Géorgie durant la guerre de Sécession.

La rentrée littéraire fut marquée par l'abondance des candidats aux prix et la prédominance de romanciers déjà chevronnés par rapport aux auteurs de premiers romans. Parmi les premiers, Gilles Lapouge, dans l'Incendie de Copenhague (Albin Michel), s'est lancé dans un vaste roman à la fois picaresque et initiatique au cœur de l'Islande du xviiie siècle. Dans le Grand Tsar blanc (Fallois), Vladimir Volkoff a brossé une fresque haute en couleur de la Russie des Romanov au xviie siècle. Jean-Marie Laclavetine, dans Demain la veille (Gallimard), s'est essayé avec succès au roman préhistorique, tandis que Philippe Le Guillou renouait, dans Livres des guerriers d'or (Gallimard), avec la veine des cycles du Graal. Dans Mon frère l'idiot (Fayard), Michel del Castillo dialoguait avec Dostoïevski. Hector Bianciotti, avec le Pas si lent de l'amour (Grasset), romançait ses souvenirs d'émigrant argentin découvrant la vieille Europe au début des années 50. Pierre Mertens, en racontant Une paix royale (Seuil), évocation de la Belgique sous Léopold III, s'attirait les foudres de la justice. Dans l'Orgue de Barbarie (Seuil), Bernard Chambaz brossait un portrait de la guerre d'Algérie et opposait à la brièveté des combats le temps de la longue mémoire chez les appelés. Dans l'Heure de gloire (Grasset), François-Olivier Rousseau faisait raconter à un écrivain rappelant beaucoup Edmond Rostand la chronique d'une Belle Époque proustienne. Avec Les hommes n'en sauront rien (Grasset), François Sureau mettait ses pas dans ceux de Somerset Maugham et de Graham Greene et lestait de métaphysique un pseudo-roman d'espionnage. Christian Bobin s'enlisait quelque peu dans la Folle Allure (Gallimard), tandis que Jean Echenoz, avec les Grandes Blondes (Minuit), renouait avec bonheur avec son humour contenu.

Parmi les auteurs de premiers romans, la critique a particulièrement remarqué Mario Pasa pour le Cabinet des merveilles (Denoël), Éric Faye pour le Général Solitude (Le Serpent à plumes), Édouard Beaufort pour le Genou de Vénus (Stock) et Loïc Finaz pour Échouages (La Table Ronde).

Prix littéraires

À la surprise générale, le prix Goncourt est allé à Andreï Makine pour le Testament français, au Mercure de France. Ce Russe de trente-huit ans y célèbre dans une langue limpide et très classique l'héritage d'une France IIIe République léguée par une grand-mère française devenue russe par son mariage. Pour le même roman, Andreï Makine avait obtenu auparavant le prix Médicis, qu'il partageait avec Vassilis Alexakis pour la Langue maternelle (Fayard), évocation d'une quête d'identité de la part d'un Grec vivant à Paris. Le prix Renaudot a récompensé Patrick Besson, candidat malheureux à plusieurs reprises les années précédentes, pour les Braban (Albin Michel), saga familiale délirante et glauque, témoignage du nihilisme ambiant de l'époque. Le prix Fémina a été attribué à Emmanuel Carrère pour la Classe de neige (P.O.L.). Le prix Interallié fut un prix de consolation pour Franz-Olivier Giesbert (la Souille, chez Grasset), longtemps donné pour favori du Goncourt. Enfin, le grand prix du roman de l'Académie française a couronné Alphonse Boudard pour Mourir d'enfance (Laffont), évocation à la fois nostalgique et pleine de verve d'une enfance marginale.

Littérature mondiale

Domaine anglais

Le renouveau de la littérature britannique est en grande partie dû au talent de femmes romancières, même si ces nouvelles venues ne s'inscrivent pas toutes dans la lignée des Virginia Woolf, Vita Sackville-West ou... Agatha Christie. Parmi ce jeu gagnant de dames, on retiendra : Anita Brookner, avec Une romance (Belfond), deux portraits de femmes finement ciselés ; Ruth Rendell, avec l'Oiseau crocodile (Calmann-Lévy), un roman noir sur le modèle des Mille et Une Nuits ; Élisabeth Bowen, avec Dernier Automne (Rivages), comédie sociale des années 20 ; Élisabeth Taylor, avec le Papier tue-mouches (Rivages), chronique du quotidien traité avec un humour noir.