Médecine : gros plan sur l'obésité

Un phénomène qui prend de l'ampleur

En France, on évalue à deux millions le nombre d'obèses. Les Britanniques, de leur côté, estiment que plus d'un sur six de leurs compatriotes est obèse, c'est-à-dire qu'il a un indice de masse corporelle (rapport poids, en kg, sur taille, en m2) dépassant 30 kg/m2. Mais ce sont les États-Unis, pays des excès, qui détiennent le record avec un Américain obèse sur quatre, et leur nombre ne cesse d'augmenter.

Or l'obésité s'accompagne de graves complications : hypertension, diabète « gras » (non insulinodépendant) et artériosclérose qui, à son tour, provoque des maladies cardio-vasculaires et des infarctus. Autant dire que les obèses risquent de mourir prématurément.

Peut-on accuser les gènes ?

Récemment, des chercheurs anglais du Dunn Nutrition Center, à Cambridge, se sont livrés à une curieuse expérience. Ils ont persuadé deux groupes de personnes, des « maigres » et des « gros », de vivre durant sept mois dans une de leurs cliniques. La seule différence avec un séjour dans un hôtel était qu'on leur proposait un surplus alimentaire de 50 % par rapport aux besoins énergétiques de base. On s'est aperçu que les « gros » et les « maigres », dans ce type de situation, réagissaient de la même manière : ils grossissaient autant – en moyenne de 8 kg en 42 jours.

Pourtant, on en est arrivé aujourd'hui à la conclusion que des facteurs psychologiques, mais aussi génétiques sont bien impliqués dans cette maladie complexe qu'est l'obésité. Sur le plan de la génétique, l'année 1995 aura été fructueuse.

Du gène ob au gène bêta 3

Tout a commencé avec Jeffrey Friedman, un chercheur américain de l'université Rockefeller. Fin 1994, il a isolé et décrypté un gène, ob, qui joue un rôle dans le maintien de la taille fine des souris. Ob n'est actif que dans les tissus graisseux et il permet la synthèse d'une hormone, baptisée « leptine » par Friedman. La leptine augmente les dépenses énergétiques de l'animal et réduit la prise alimentaire. Injectée, elle peut faire perdre du poids. Des souris, dont le gène ob est muté et ne fonctionne pas sont d'ailleurs obèses.

Chez l'homme, les choses sont un peu différentes : le gène ob existe – il a été localisé sur le chromosome 7 par des chercheurs français de l'INSERM –, mais il est surexprimé dans les tissus adipeux des personnes obèses ! D'autres études devraient venir expliquer ce phénomène.

Entre-temps, des chercheurs français du CNRS ont mis en évidence une anomalie génétique prédisposant à l'obésité qui concernerait entre 8 et 30 % des personnes atteintes d'obésité d'origine familiale. Il s'agit d'une mutation du gène permettant la synthèse du récepteur bêta 3 de l'hormone adrénaline. Ce récepteur stimule la dégradation des graisses.

Il existe sans doute un grand nombre d'autres petits défauts génétiques impliqués dans l'obésité.

« Gene shop »

La ville de Manchester, en Angleterre, bénéficiera de la première « boutique » du gène. Puisque nous vivons dans un monde où la génétique est de plus en plus présente, pourquoi ne pas lui donner pignon sur rue ont sans doute pensé les promoteurs de ce nouveau concept. Ainsi, en allant faire ses courses dans la grand-rue, l'honorable ménagère anglaise pourra entrer admirer les modèles de gènes et d'ADN, se renseigner sur les désordres héréditaires et sur les tests génétiques. Lectures initiatiques et vidéos seront à disposition.

Et génétique via la poste

University Diagnostics, un laboratoire privé, anglais lui aussi, a fait passer, en août dernier, une bien curieuse annonce dans le magazine Cosmopolitan : il offrait – contre espèces sonnantes et trébuchantes, bien sûr (103 dollars) – de déterminer, grâce à un test pratiqué sur votre échantillon de salive envoyé par la poste, si vous étiez ou non porteur sain du gène de la mucoviscidose. Le risque pour un couple porteur est de donner naissance à un enfant atteint de cette grave maladie. La méthode « postale » laisse quand même planer quelques inquiétudes sur le suivi psychologique des personnes intéressées, même si le conseil génétique, optionnel, est inclus dans le prix du service.

Nobel 1995 : la genèse des formes chez la mouche

Ils sont trois cette année à recevoir la récompense suprême : l'Américain Edward B. Lewis, 77 ans, l'Allemande Christiane Nüesslein-Volhard, 52 ans, et l'Américain d'origine suisse Éric F. Wieschaus, 48 ans. Tous trois ont travaillé dans les années 70 et 80 à l'élucidation d'un phénomène remarquable : comment, à partir d'un embryon, se forme une larve avec des axes antérieur-postérieur et dorso-ventral. Comment, à partir de ce plan de base, la larve va progressivement se segmenter et des régions vont se spécialiser pour donner plus tard des pattes, des ailes, etc. La mouche a été leur modèle de prédilection, et ils ont réussi à identifier et à classifier le petit nombre de gènes qui interviennent en cascade dans ces phénomènes. De là, on a pu commencer à étudier le développement précoce des mammifères.

Lionelle Nugon-Baudon, Toxic-bouffe, Éd. J.-C. Lattès, 1995.
Alain Prochiantz, la Biologie dans la boudoir, Éd. Odile Jacob, 1995.
Antonio Damasio, l'Erreur de Descartes, Éd. Odile Jacob, 1995.

Catherine Tastemain