Plus spectaculaire encore est l'annonce, en novembre, des succès obtenus par un groupe de spécialistes britanniques de la biologie de la reproduction, dans la manipulation de cellules sexuelles de souris. Dirigée par le professeur Martin Johnson, cette équipe de l'université de Cambridge est parvenue à congeler des ovules de souris, à les décongeler, puis à les faire fertiliser in vitro et, enfin, à obtenir, après implantation des embryons, des souriceaux normaux. Elle estime qu'elle maîtrisera bientôt le processus de congélation-décongélation d'ovules humains. Ce résultat est très attendu, car il fournirait une nouvelle technique d'assistance médicale à la procréation. Alors que l'on sait, depuis longtemps déjà, congeler des spermatozoïdes et que l'on a réussi, dans les années 80, à congeler des embryons humains, la congélation des ovules a jusqu'à présent été contrariée par la très grande instabilité de ces cellules et par leur extrême sensibilité à l'action du froid. La réussite annoncée chez la souris et le pronostic d'un prochain succès avec les ovules humains soulèvent néanmoins une nouvelle fois la délicate question des conséquences de telles manipulations sur l'intégrité des cellules sexuelles et des embryons ainsi conçus.

Confirmation de la découverte du quark top

En physique des particules, l'annonce, en mai 1994, de la découverte du quark top (ou t) par deux équipes internationales utilisant le plus puissant accélérateur de particules du monde, le Tevatron du Fermilab (Fermi National Laboratory), près de Chicago, avait troublé les spécialistes parce qu'elle semblait prématurée. Moins d'un an plus tard, les nouvelles données expérimentales présentées par les deux équipes, ainsi qu'une étude critique approfondie des phénomènes parasites associés, permettent de conclure sans ambiguïté à l'existence de ce sixième quark. Elles apportent ainsi une nouvelle confirmation de la validité du « modèle standard » qui fonde l'architecture de la matière sur un édifice de douze particules – six leptons et six quarks – désormais toutes identifiées. Des dizaines de milliers de collisions proton-antiproton ont été nécessaires pour obtenir les quelque dizaines d'événements signalant à coup sûr la présence du quark top. L'une des deux équipes a trouvé à ce nouveau quark une masse de 199 milliards d'électronvolts (GeV), à 30 GeV près ; l'autre a mesuré une masse de 176 GeV, à 13 GeV près. Le « top » se révèle ainsi la plus massive des particules élémentaires connues, avec une masse du même ordre que celle d'un atome d'or. Il reste maintenant à étudier plus finement ses propriétés. Cette tâche viendra s'ajouter à d'autres qui attendent encore les physiciens des particules, par exemple identifier le « boson de Higgs », une autre particule prévue par la théorie, ou étudier les interactions de quarks et comprendre l'origine des différences de masse entre les membres de cette famille, etc.

Le théorème de Fermat enfin démontré !

En mathématiques aussi, 1995 aura été marqué par une confirmation attendue. En juin 1993, lors d'un colloque à l'Institut Newton de Cambridge, Andrew Wiles, un mathématicien d'origine britannique travaillant à l'université de Princeton (États-Unis), avait fait sensation en exposant ce qui avait alors été présenté comme une démonstration du célèbre « grand théorème de Fermat ». Celui-ci énonce que, pour tout nombre entier n supérieur à 2, il n'existe pas d'entiers positifs et non nuls vérifiant l'équation an + bn = cn. Pendant trois siècles et demi, il est en fait resté à l'état de conjecture, résistant à toute tentative de démonstration. Les spécialistes qui se sont penchés sur les calculs de A. Wiles ont pu rapidement en apprécier la qualité, tout en décelant quelques lacunes dans la démonstration proposée. Au terme de près de deux années supplémentaires de travail, le mathématicien publie en mai, dans la revue spécialisée Annals of Mathematics, une nouvelle version de sa démonstration, apparemment complète cette fois. Cet épilogue heureux, appelé à faire date dans l'histoire de la théorie des nombres, vaut à A. Wiles le prix Fermat de recherche en mathématiques, décerné par l'université de Toulouse-III et la Société Matra Marconi Space.

Un bijou technologique : le pont de Normandie

Quittons maintenant la science pour évoquer la technique, à travers quelques événements marquants de l'année. Inauguré le 20 janvier, sur l'estuaire de la Seine, le pont de Normandie devient le plus grand pont à haubans du monde, avec une portée de 856 m pour une longueur totale de 2 141,25 m. Son tablier est soutenu par 184 haubans, atteignant jusqu'à 450 m de long, rigidifiés par 32 câbles « aiguilles » antivibrations disposés transversalement. La chaussée, le tablier, les pylônes et les haubans sont truffés de capteurs, qui permettent de suivre en temps réel les mouvements de l'ouvrage. Un central informatique situé près des péages enregistre les contraintes résultant de l'action du vent et du trafic routier. La construction de ce bijou technologique a duré sept ans, mais les premières études ont été engagées il y a vingt-trois ans. Pourtant, ce pont ne restera pas longtemps le plus grand de sa catégorie. D'ici à la fin du siècle, il devrait être dépassé par un ouvrage analogue, en construction au Japon, le pont de Tatara, d'une portée de 890 m, qui reliera l'île de Honshu à celle de Shikoku, au sud d'Osaka et de Kobe.

Le plus gros biréacteur du monde

En aéronautique, la lutte commerciale farouche qui oppose depuis une vingtaine d'années le consortium européen Airbus et le constructeur américain Boeing entre dans une nouvelle phase avec la livraison, en mai, à la compagnie United Airlines, du premier exemplaire du Boeing 777. Septième avion à réaction de la famille Boeing construit depuis quarante ans, ce nouvel appareil ravit à l'A 330 le titre enviable de plus gros biréacteur du monde. Il peut transporter de 305 à 440 passagers sur une distance de 13 400 kilomètres. Dernier avion entièrement nouveau à voir le jour d'ici à l'an 2000, il représente, avec les Airbus A 330 et A 340, ce qu'il y a aujourd'hui de plus achevé dans le domaine du transport aérien subsonique.

Informatique : Windows 95 et Internet

En informatique, l'événement le plus médiatisé de l'année est le lancement, le 24 août, de Windows 95, nouveau système d'exploitation développé par la firme californienne Microsoft, leader mondial du marché des logiciels de micro-ordinateurs. Le constructeur met en avant la facilité d'emploi du nouveau logiciel et son aptitude à rendre l'utilisation d'un PC aussi aisée que celle d'un Macintosh. Windows 95 présente aussi l'atout d'intégrer toutes les fonctions indispensables pour permettre à un ordinateur de communiquer à distance et de manipuler les sons et les images.

L'autre star indéniable de l'année est le réseau Internet. Une trentaine de millions de personnes, issues de quelque 150 pays, s'y connectent déjà, mais il connaît un développement fulgurant, avec un nouvel abonné chaque seconde. Serveurs d'informations, transfert de fichiers entre utilisateurs, connexion à distance, messagerie : les avantages que procure ce réseau de communication planétaire expliquent l'engouement croissant qu'il suscite dans les universités, les laboratoires, les entreprises et les administrations.

Philippe de La Cotardière