Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

La mondialisation des télécommunications

Depuis le milieu des années 1980, les systèmes nationaux de télécommunications ont subi, à l'échelle de la planète tout entière, de nombreux et profonds changements. Jusqu'à cette date, ils fonctionnaient sur un mode simple et en vase clos. Un grand opérateur national, en général (comme en France) une administration (celle des PTT), gérait, sur des bases techniques semblables, des services de téléphone, de télégraphe et de télex peu complexes. L'opérateur disposait, en raison du poids des infrastructures (réseaux), d'un monopole dit « naturel », relevant soit du droit privé (la puissante société américaine ATT, par exemple), soit du service public (cas de la France). En règle générale, les prix des services rendus étaient calculés en fonction des structures de coûts internes, compte tenu d'une volonté politique plus ou moins forte de péréquation entre les usagers (petits et grands). En outre, en l'absence d'agressions concurrentielles extérieures, les opérateurs répercutaient plus ou moins bien et plus ou moins vite les gains de productivité à leurs clients, à travers des baisses de prix des services rendus. S'agissant de monopoles naturels, ceux-ci ne cherchaient pas à abuser de leur position dominante pour imposer des prix prohibitifs, craignant des sanctions de la part des pouvoirs publics.

La fin d'un modèle

Le bouleversement du secteur des télécommunications a commencé avec la remise en cause des monopoles privés (États-Unis, Japon) ou publics (France Telecom, Deutsche Telekom, British Telecom). Et cela, à travers un processus de libéralisation consistant soit à ouvrir – sous le nom de « déréglementation » – le marché à la concurrence, soit à privatiser d'anciennes entreprises publiques. Aux États-Unis, en 1984, l'ouverture à la concurrence a entraîné le démantèlement de l'unique opérateur privé de téléphone (ATT) en sept compagnies régionales (Baby Bells jouissant d'un monopole local) ainsi que l'apparition de nouveaux opérateurs sur les communications à longue distance (ATT, MCI et Sprint). Par ailleurs, de petits opérateurs innovants ont pu entrer sur le marché. Il s'est alors produit une chute rapide des prix des communications (surtout à longue distance), ce qui n'a pas empêché la progression à un rythme soutenu des recettes. Cette réussite relative a mené les compagnies américaines de téléphone, appuyées en cela par les grandes entreprises américaines, à exercer sur les opérateurs des autres pays (surtout européens) des pressions pour qu'ils ouvrent leurs marchés à la concurrence : les opérateurs américains les plus puissants ont non seulement cherché à préparer des offensives contre leurs homologues européens, mais ils ont également envisagé résolument et ouvertement une logique stratégique de domination planétaire. À cet égard, les opérateurs américains ont pris de vitesse tous les autres, de telle façon que, dès le départ, ils ont mené le jeu. Ils vont ainsi contraindre des grands opérateurs nationaux comme Deutsche Telekom ou France Telecom à s'engager dans un processus de libéralisation.

Cette première expérience d'introduction de la concurrence a été suivie dans quelques pays par une vague de privatisations. Ainsi, au Royaume-Uni, le basculement vers la concurrence est intervenu en deux étapes. Le monopole de British Telecom (BT) a été supprimé en 1984. Mais, pendant six ans, la concurrence a été aménagée dans le cadre d'un duopole : Mercury, filiale de Cable and Wireless, a été désigné comme challenger officiel de BT, mais la compétition n'a finalement été ouverte qu'en 1990 lorsqu'on a donné l'autorisation aux câblo-opérateurs de transmettre des informations. L'érosion des recettes du principal opérateur, BT, jugée inévitable, se produit pourtant plus lentement que prévu : cinq ans après l'ouverture totale à la concurrence du marché britannique, BT continue à détenir une part de 88 % du marché du téléphone ; Cable and Wireless 10 %, les câblo-opérateurs et autres acteurs se partageant les 2 % restants.