Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Publicité : le combat pour la qualité

« Le 0 % d'impertinence tue les 100 % de pertinence », affirme Éric Tong Cuong, l'un des chefs de file de l'agence Euro-RSCG. « Il faut que nos campagnes provoquent le débat, qu'elles fassent controverse, qu'on en parle », continue-t-il en militant pour la nécessaire créativité publicitaire. Le problème vient de la dégradation des rapports entre les fabricants et les agences. Celles-ci sont accusées de se soucier davantage de faire des films pour décrocher des prix publicitaires que pour vendre les produits. « Il n'y a plus de notion de partenariat. Les agences deviennent des fournisseurs de services optionnels. Le reste, l'annonceur ne veut plus en entendre parler », s'émeut Jacques Bille, le vice-président de l'Association des agences-conseils en communication (AACC), à la lecture des résultats de la traditionnelle enquête d'opinion menée par l'institut Ballester sur l'état des relations agence-annonceur.

Chiffrage

Pour la première fois, l'Association des agences-conseils en communication dresse un état chiffré, fondé sur un rapport du cabinet d'audit Arthur Andersen, de la situation financière des agences de publicité. Sur les trois dernières années, leur marge brute a chuté de 21 %. « Les chiffres d'Arthur Andersen dénotent un véritable effet-ciseaux. Il faut consentir beaucoup plus d'efforts pour créer de la valeur sur les marques, alors que les rémunérations et les effectifs sont en baisse », commente Philippe Gaumont, président de l'AACC.

Le modèle américain

Le véritable danger, c'est celui que souligne Christian Blachas, l'animateur de « Culture Pub » et rédacteur en chef de CB News. Il met en garde les entreprises contre la publicité qui aurait pour unique souci de vendre, sans effort d'inventivité. Il s'en prend tout particulièrement aux chocolats « Roche d'or » et « Mon Chéri », dont les ventes sont exemplaires mais les communications « ringardes, totalement déphasées ». Et il avance l'idée que, si le fabricant faisait « des publicités intelligentes, ça marcherait peut-être encore mieux ».

Le problème, c'est que le marché publicitaire français ressemble de plus en plus au modèle américain. D'ailleurs, les « infomerciales » font leur apparition en France. À mi-chemin entre le clip publicitaire et l'émission de téléachat, l'infomerciale est une émission clé en main qui peut durer jusqu'à 30 minutes. Son but est de vendre en direct. Aux États-Unis, l'infomercial progresse de 20 % par an et représente déjà un chiffre d'affaires de un milliard de dollars. Le spot Ariel, où pendant quatre-vingt-dix secondes l'ex-animatrice de télévision Christine Bravo et le fabricant de vêtements Jacadi se mettent au service de la célèbre lessive et sa formule antibouloche, en est un avant-goût.

Le plus dur est venu de Franck Lowe, qui présidait le Festival international du film publicitaire de Cannes. Il a décidé de ne pas décerner de grand prix, alors que la sélection, unanimement louée, marquait le retour en force de la créativité. C'est un véritable électrochoc pour la profession. En effet, le spot primé constitue toujours une sorte d'étalon, de modèle à suivre, qui incite bon nombre d'annonceurs à oser faire des films forts. Les publicitaires soupçonnent Franck Lowe d'avoir simplement voulu marquer de son sceau le 42e Festival en étant le premier président a avoir osé ne pas accorder de grand prix. Celui-ci justifie sa décision en affirmant que le meilleur spot était consacré à une œuvre humanitaire et que les statuts interdisent de décerner le grand prix à une publicité de la catégorie « grandes causes ».

Mais la revanche est venue de « Culture Pub », qui diffuse chaque année une sélection de films de ce Festival qui rassemble le meilleur de la création mondiale. L'émission de M 6 a obtenu son plus fort taux d'audience depuis son existence. « S'adresser à un marché de consommateurs aussi publiphiles, aussi curieux des choses de la communication est une bénédiction », dit Christian Blachas aux annonceurs dans CB News. « À une condition, continue-t-il, que la pub ait du talent. »