Les religions et la modernité en 1995

Rendre compte des principaux événements religieux de 1995 peut conduire à une certaine juxtaposition de faits. La parution d'un ouvrage de la célèbre collection « Que sais-je ? » présentant l'état des recherches en sociologie de la religion incite à replacer ces événements dans leur contexte. L'auteur insiste sur la complexité des rapports entre religion et modernité. Historiquement, la modernité était porteuse d'idéaux de progrès qui déstabilisaient les traditions religieuses et les amenaient à se recomposer. Aujourd'hui, la modernité est elle-même « désenchantée ». De plus en plus, ce qui est techniquement possible n'apparaît pas forcément comme souhaitable. Cette mutation culturelle s'accompagne de bouleversements politiques et de difficultés économiques et sociales. Au total, la croyance en un avenir meilleur – fonds commun des idéologies concurrentes libérales, sociales-démocrates et communistes – s'est, dans une large mesure, effondrée. Ce n'est certes pas la première fois que la société moderne se trouve en crise. Mais, aujourd'hui, la crise a des répercussions dans tous les domaines. La conciliation entre religion et modernité, qui semblait avoir le vent en poupe jusqu'aux années 1980, est devenue plus difficile. Certaines formes de religiosité sont entraînées dans la crise des idéaux modernes tandis que d'autres se radicalisent, voire recoupent des enjeux politiques.

La conciliation avec la modernité et l'apaisement de conflits

Moins visible qu'auparavant, la conciliation entre religion et modernité perdure. On perçoit sa marque dans certaines réflexions ecclésiales comme dans des évolutions concrètes. Un rapport sur « la foi dans la société moderne », rédigé sous la direction de Mgr Claude Dagens, est en cours de discussion dans l'Église catholique française. Il affirme que les questions qui relèvent de la loi ne doivent plus être pensées ni proposées « comme un système concurrentiel opposé au rationalisme conquérant » et souhaite que « l'Église soit reconnue pour ce qu'elle est : le lieu de la foi accueillie, pratiquée, offerte à l'ensemble de notre société, sans que cette proposition n'apparaisse comme l'expression d'une volonté hégémonique ».

Ce désir de non-hégémonie conduit l'Église catholique à participer à des campagnes communes avec d'autres Églises chrétiennes, comme celle, lancée en juin, sur le thème : « Accueillir l'étranger », incitant à des initiatives concrètes de rapprochement entre les communautés dans les banlieues et quartiers en difficulté et souhaitant un grand débat « public et démocratique » sur l'immigration. En septembre, des autorités catholique, protestante, juive, musulmane ont témoigné publiquement de leur solidarité face à la vague d'attentats.

Des évolutions se confirment. Ainsi, les remous provoqués par la décision de l'Église d'Angleterre d'ordonner les femmes à la prêtrise (et l'ordination effective de 1 400 d'entre elles) sont restés limités. Le chanoine anglican Robert Warren, chargé des questions d'évangélisation, estime que cette mesure a reçu un accueil globalement favorable : « Les églises où une femme a été nommée attirent entre 10 et 30 % de fidèles supplémentaires. Les femmes ont le don de créer des relations personnelles avec les laïques qui viennent leur demander conseil plus volontiers qu'à des hommes prêtres. » Paradoxalement, c'est plutôt l'Église catholique anglaise qui semble vivre difficilement l'arrivée d'environ 200 anciens prêtres anglicans mariés, exerçant, de facto, un ministère de prêtre catholique au milieu d'un clergé qui reste voué au célibat.

D'anciens conflits politico-religieux semblent, par ailleurs, en voie d'apaisement. Instauré en 1994, le cessez-le-feu en Irlande du Nord a tenu bon cette année, contrairement à certains pronostics pessimistes. Chef temporel de l'Église anglicane, la reine Élisabeth II a rendu visite au primat de l'Église catholique d'Irlande dans sa ville d'Armagh. C'est une première depuis la Réforme du xvie siècle. Si des extrémistes protestants, comme le révérend Paisley, restent sur leurs positions, d'autres – comme l'ancien commandant de l'Ulster Freedom Fighter, Kenny McClinton (devenu pasteur de l'Église pentecôtiste à Belfast) – prônent aujourd'hui le dialogue avec le Sinn Fein (la branche politique de l'IRA).