Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Chronique judiciaire

L'année de toutes les affaires

L'argent bien sûr, la politique aussi, le pouvoir et les magouilles évidemment, et toujours les affaires : il n'a été question que de cela dans les prétoires en 1995. Dans tout l'Hexagone, on a assisté à une floraison de procès où, sur le banc des prévenus, se trouvaient des ministres, des politiciens, des maires, des hommes d'affaires et des vedettes du show-business. À Saint-Brieuc, Henri Emmanuelli, ancien trésorier du PS, comparaissait dans le cadre de l'affaire URBA-SAGES. Michel Noir, maire de Lyon, et Michel Mouillot, maire de Cannes, siégeaient côte à côte dans l'affaire Botton. Bernard Tapie à Valenciennes, Alain Carignon à Lyon, Jacques Médecin à Grenoble, les chroniqueurs judiciaires ne savaient où donner de la tête. Partout il n'était question que d'abus de biens sociaux, de recel d'abus de biens sociaux, de corruption active et passive.

Le côté hautement technique des affaires, avec leurs documents comptables et leurs répétitions, n'entraînait cependant aucune apathie ou lassitude. Bien au contraire, les chroniqueurs judiciaires les plus blasés furent totalement surpris par le comportement inhabituel de certains prévenus ou témoins. Derrière les expertises comptables, il y avait des hommes.

Sur le papier, deux procès promettaient particulièrement : celui de l'affaire Botton et celui du match OM-Valenciennes. L'un et l'autre apparaissaient comme le chapitre final de deux affaires rocambolesques qui avaient tenu la France en haleine.

L'affaire Botton

Du 13 février au 3 mars, le procès de Lyon tint toutes ses promesses. L'affiche était belle : parmi les douze prévenus, il y avait le maire de Lyon (Michel Noir), celui de Cannes (Michel Mouillot), le présentateur vedette de TF1 (Patrick Poivre d'Arvor), le cousin d'un ancien président de la République (Charles Giscard d'Estaing) et, comme accusé numéro un, Pierre Botton, le gendre et le gourou de Michel Noir, un homme affamé de publicité et de mondanités qui avait pour dieux Bernard Tapie et Coluche. On reprochait à Pierre Botton d'avoir dépouillé seize sociétés de 33 millions. Aux maires de Lyon et de Cannes, ainsi qu'au présentateur de TF1, d'avoir profité d'une partie de cet argent. Les uns en Relais et Châteaux, séjours à l'étranger ou à la neige, restaurants trois étoiles. Les autres par l'intermédiaire d'études bidon et de subventions. On nous avait promis un procès politique, financier, familial et médiatique. Il fut tout cela, et au-delà même de ce qu'on pouvait imaginer.

Facture par facture, note par note, le tribunal étudia comment, pour satisfaire un train de vie dispendieux, entretenir à coups de cadeaux des amitiés dans le monde de la presse et du show-biz et promouvoir également des campagnes politiques, Pierre Botton avait pillé seize sociétés.

Procès de l'esbroufe, des vanités, des paillettes et du toc, le procès Botton fut aussi un flamboyant mélo. La cour ne se pencha pas seulement sur les factures des costumes Smalto, sur le cas du violoncelle de Michel Noir ou sur les séjours aux sports d'hiver de Patrick Poivre d'Arvor, mais aussi sur le journal intime et les brouillons de lettres d'Anne-Valérie Botton, fille de Michel Noir et épouse de Pierre Botton. Certains avocats et le procureur lui-même n'hésitèrent pas à lire avec gourmandise le petit carnet rose confidentiel d'une jeune femme abandonnée par son mari et sacrifiée sur l'autel de la politique de son père. On assista ainsi à un indécent déballage de petits secrets d'alcôve qui plongea public et magistrats dans une indicible gêne. Le réquisitoire, par sa longueur (sept heures) et par sa violence, allait véritablement pétrifier les prévenus. Le procureur Thierry Crétin fustigea l'incroyable légèreté des prévenus, leur recherche effrénée de l'argent facile et leur cynisme. Il réclama 4 ans de prison ferme et 2 millions d'amende contre Pierre Botton. Contre les trois « receleurs », Michel Noir, Michel Mouillot et Patrick Poivre d'Arvor : 18 mois de prison avec sursis, 200 000 F d'amende et 5 ans d'inéligibilité.