Le déficit des comptes sociaux et la réforme fiscale (annoncée pour 1996) sont liés à un autre débat, amorcé dès 1993 : la création d'une épargne volontaire, sous forme de fonds de pension qui pourraient contribuer au financement de la retraite. De tels fonds existent déjà dans quelques grandes entreprises. Le CNPF y est favorable, à l'instar des systèmes allemand ou britannique, alors que les syndicats restent hostiles ou prudents. Mais une question de fond reste posée : les taux de cotisation obligatoire aux régimes complémentaires existants seront-ils augmentés, et dans quelle proportion ? Le projet de budget pour 1996, qui comporte l'annonce d'une taxation de l'épargne et de l'assurance vie, ne fait qu'accentuer la pression sur les revenus des classes moyennes et va directement à l'encontre de ces projets de création de fonds de pension, pourtant confirmés par le ministre de l'Économie le 20 septembre.

Un renouveau des revendications et de la négociation collective

L'année s'ouvre sur plusieurs initiatives importantes dans le domaine des relations collectives de travail. 1994 avait déjà connu un certain renouveau de la négociation, notamment dans les branches professionnelles et dans le domaine de la durée du travail, mais avec peu de grèves. Au premier semestre 1995, des réflexions s'amorcent sur la gestion paritaire des systèmes sociaux : faisant en quelque sorte écho aux appels d'Édouard Balladur, puis de Jacques Chirac, à l'« entreprise citoyenne », le nouveau président du CNPF, Jean Gandois, propose dès janvier aux syndicats des rencontres paritaires au moins deux fois par an. La première a lieu le 28 février, et la déclaration commune fait état de la volonté de se réapproprier un dialogue social indépendant du gouvernement, en particulier en engageant dès le mois de mars une négociation sur l'emploi et la lutte contre le chômage et une réflexion sur l'articulation entre les niveaux de négociation (entreprise, branche, interprofessionnel). Appuyées également sur une certaine renaissance de l'influence des syndicats, ces initiatives marquent un retour des partenaires sociaux sur le devant de la scène et la redéfinition de stratégies contractuelles, orientées vers la sauvegarde d'une cohésion sociale. La conclusion, le 6 septembre, d'un accord entre tous les partenaires patronaux et syndicaux de l'Unedic va dans ce sens. Il fait suite à la création, le 5 juillet, d'un Fonds paritaire d'intervention en faveur de l'emploi, et prévoit la mise à la retraite de personnes de plus de 57 ans, ayant cotisé 40 ans, en échange de l'embauche de jeunes. Mais les conflits de la fin de l'année révèlent les divergences au sein même des grandes centrales, et entre elles – notamment entre Force ouvrière et la CFDT.

Cependant, les questions posées sont largement marquées par la difficile relation entre emploi, durée du travail et salaires. Depuis des années, des accords à contenu variable sur l'aménagement et la réduction de la durée du travail sont conclus dans des entreprises de toute taille, mais, avec « l'accord national interprofessionnel sur l'emploi » du 31 octobre entre le patronat et quatre des cinq syndicats représentatifs (CFDT, FO, CFTC et CGC) – la CGT y restant opposée –, c'est la première fois que la question d'une réduction significative de la durée du travail est posée sur un plan général, même si les modalités d'application sont renvoyées à des négociations dans les branches.

1995 voit également une renaissance des revendications salariales, qui s'explique notamment par le constat que, pour la première fois depuis la fin de la guerre, les salaires moyens connaissent une baisse de niveau : les grèves touchent Chausson, Renault, Yoplait, mais aussi les agents des impôts et des tris postaux. L'annonce par le Premier ministre, le 4 septembre, d'un gel du salaire des fonctionnaires en 1996 n'est pas de nature à faire retomber la pression, et des grèves unitaires ont lieu, le 10 octobre, dans l'ensemble du secteur public. L'action revendicative et syndicale – qui n'avait pas, bien au contraire, été freinée par la période préélectorale du printemps – continue à s'orienter également vers l'emploi, s'agissant des jeunes ainsi que des travailleurs de secteurs publics qui se sentent menacés par les déréglementations prévues dans le cadre européen, dans les transports (SNCF, Air Inter), à l'EDF, dans les Télécommunications.