Social : le retour

Alors que l'on croyait la « question sociale » enterrée sous la dureté des temps et l'exigence de la rigueur économique, la voilà qui revient à la une de l'actualité. Après les grandes manifestations des jeunes contre le CIP, au printemps, on assiste à un automne « chaud », avec multiplication des grèves, notamment chez Alsthom. Les candidats affirmés ou potentiels à l'élection présidentielle multiplient les déclarations en faveur d'une politique sociale plus résolue. Mais en direction de qui ? Des chômeurs et des laissés-pour-compte qu'il faudrait réintégrer dans le système en partageant l'emploi et les ressources ? Ou bien des salariés en place, fatigués de voir leurs fiches de paie toujours identiques, alors que leurs entreprises affichent souvent des bilans conquérants ?

La météo de l'emploi reste sombre

Si les créations d'emplois marquent une légère progression, la courbe du chômage n'est pas conforme aux espoirs du gouvernement qui souhaitait terminer l'année au même niveau qu'elle l'avait commencée. Malgré les bonnes surprises de juin et de juillet, le chômage continue de progresser, sans entamer la confiance du gouvernement, persuadé que 1995 marquera une réelle amélioration. L'ANPE accélère le dispositif de collecte des offres d'emploi, et l'APEC (Association pour l'emploi des cadres) affiche un regain d'optimisme appuyé par une très légère amélioration de l'emploi des cadres. Le temps mis par les jeunes diplômés pour trouver un emploi se raccourcit lui aussi un peu, mais la situation est loin d'avoir retrouvé les niveaux de 1990. Pour eux, et a fortiori pour les moins diplômés, l'entrée dans la vie active se fait essentiellement à coups de contrats à durée déterminée.

La précarité, en gestation les années précédentes, se consolide. Désormais, ce n'est plus le contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein qui est la norme. La norme, déclare l'INSEE dans une étude publiée avant l'été, c'est l'atypique d'autrefois : le temps partiel, le travail précaire, l'intérim. C'est à ces formes de travail que profite la timide reprise économique.

À peine perceptible dans les statistiques, cette amélioration reste encore très inégalement répartie, puisque la durée moyenne du chômage s'allonge (393 jours en juin 1944, contre 350 en décembre 1993). Principales victimes encore et toujours : les plus de 50 ans et les moins de 25 ans.

La représentativité des chômeurs en question

Le débat sur la représentativité des associations ou syndicats de chômeurs dans des instances telles que l'UNEDIC ou l'ANPE gagne un peu de terrain. Aux états généraux du chômage, organisés par le plus ancien des syndicats de chômeurs, celui de Maurice Pagat, Martine Aubry vient battre sa coulpe. Tout en regrettant d'avoir refusé de recevoir les chômeurs quand elle était ministre du Travail, elle plaide désormais en faveur de leur représentativité au sein de l'UNEDIC. Le propos fait réagir les organisations syndicales, implicitement accusées de ne s'occuper que des seuls salariés. Au lendemain de ces états généraux, la plupart d'entre elles accepteront de recevoir Maurice Pagat. Une minirévolution, si l'on sait que les grandes centrales syndicales ont toujours regardé de travers ces structures qui pouvaient leur faire concurrence sur une population difficile à « fédérer » : les chômeurs. Organisée sur le modèle de la grande marche des « beurs », la marche des chômeurs n'a pas le succès escompté. Mais, pour la première fois, d'un peu partout en France, des dizaines de demandeurs d'emploi déambulent de ville en ville pour se retrouver à Paris.

Le chômage médiatisé

Pour désamorcer d'éventuels mouvements incontrôlables et renverser le sentiment de désespérance dont se font l'écho études et enquêtes, le gouvernement a – phénomène exceptionnel – dédié une chaîne de télévision à l'emploi. Pendant trois semaines, 10 heures par jour non-stop sur le créneau occupé le soir par Arte : des ministres, des parlementaires, des chercheurs, des responsables de mouvements associatifs, des chômeurs se succèdent à l'antenne. L'audience est maigre (200 000 téléspectateurs aux heures de pointe), mais l'œuvre, pédagogique : chacun peut comprendre, aux détours d'un portrait, que le chômage est, hélas, à la portée de tout le monde.

L'union fait la force

Faute de pouvoir trouver dans les petites annonces et à l'ANPE l'emploi souhaité, les chômeurs ont de plus en plus tendance à se regrouper. Sans qu'on puisse les comptabiliser, le nombre de petites structures dites « clubs de recherche d'emploi » s'accroît. Sur le thème « à plusieurs on se sent plus fort que tout seul », des cadres, essentiellement, démarchent collectivement les entreprises, pour eux-mêmes ou pour les autres membres du club. Dans le sillage de ces regroupements se développe ce qu'on appelle le « temps partagé ». En quête d'un emploi, un responsable du personnel, un comptable ou un commercial, par exemple, propose à plusieurs PME de se partager ses services.

La révolte des jeunes

Le chômage continue en effet de frapper près d'un jeune sur quatre. Faute d'avoir trouvé la potion magique dans les débats sur la réduction du temps de travail, le gouvernement sort de son sac une nouvelle idée : le contrat d'insertion professionnelle (CIP). La décision publiée par décret le 23 février consiste à autoriser les chefs d'entreprise à embaucher à 80 % du SMIC tout jeune de qualification inférieure à bac + 2. Perçue comme un « SMIC-jeunes », cette mesure provoque aussitôt une levée de boucliers. Le patronat est contre. Les jeunes aussi. Et, si le CNPF (Conseil national du patronat français) le fait savoir discrètement, les seconds l'expriment haut et fort. Se sentent concernés les étudiants d'IUT (Institut universitaire de technologie), dont depuis tant d'années on érige le diplôme en sésame de promotion sociale, mais aussi, plus solidairement, l'ensemble des jeunes, lycéens ou élèves de grandes écoles.