Chine : chronique d'une mort annoncée

L'ère post-Deng s'est ouverte

Lorsqu'ils l'ont vu apparaître sur tous les écrans de télévision le 9 février, à la veille du Nouvel An lunaire, les Chinois n'en ont pas cru leurs yeux. Deng Xiaoping, l'homme fort de la Chine depuis son accession au pouvoir en 1978, n'était plus qu'un vieillard présentant des signes avancés de sénilité. Selon la tradition millénaire, Deng devrait pourtant rester le maître incontesté de la Chine jusqu'à son dernier souffle. Mais dans les coulisses la compétition pour la succession est désormais lancée.

La plupart des diplomates estiment que la propagande a sciemment cherché à préparer l'opinion publique à une mort prochaine de Deng, tout en la dédramatisant, montrant que l'équipe collégiale mise en place lors du XIVe congrès du Parti communiste en octobre 1992 est capable de gérer les affaires du pays. Jiang Zemin, qui cumule les trois fonctions essentielles de président de la République, chef du Parti communiste et chef de la Commission militaire, a affirmé sa position cette année, en multipliant les voyages à l'étranger (aux États-Unis en novembre 1993, en Russie et en France en septembre 1994, dans les pays d'Asie du Sud-Est et au sommet de l'APEC en novembre) et en signant des nominations aux postes clés de l'armée et dans les hautes instances du Parti. Un nombre important de ses anciens collaborateurs à Shanghai (dont Jiang était chef du Parti jusqu'en 1989) se sont ainsi retrouvés propulsés à Pékin, comme Wu Bangguo (secrétaire général du Parti à Shanghai) et Huang Ju (maire de Shanghai), qui ont été nommés respectivement en 1993 et 1994 au bureau politique, le « cerveau » du Parti communiste. Mais cette influence croissante des « Shanghaiens » dans le pouvoir central commence à faire grincer des dents : Zhu Rongji, le premier vice-Premier ministre, responsable des réformes économiques (ex-maire de Shanghai), Qiao Shi, le président de l'Assemblée nationale, également patron de la sécurité et des services de renseignements, et Qian Qichen, le ministre des Affaires étrangères, entretiennent à des titres divers un lien privilégié avec cette ville. De son côté, le Premier ministre Li Peng, qui avait été éclipsé de la scène politique pendant plus de la moitié de l'année 1993, en raison « d'une mauvaise grippe » (il aurait en réalité des problèmes cardiaques), a fait un retour important dans les médias et tente de damer le pion à son rival Jiang Zemin sur la scène internationale. Mais l'image de Li Peng reste trop associée à la répression du mouvement démocratique de Tian'anmen, en 1989. Qiao Shi, fidèle à sa réputation d'homme de l'ombre, a continué pendant ce temps à tisser sans bruit son réseau d'influences au sein du gouvernement, du Parti, de l'Assemblée, des services spéciaux, et en réalisant également plusieurs tournées internationales (Asie du Sud-Est, Afrique, Amérique latine), Zhu Rongji, qui était monté en flèche au cours de l'année 1993, profitant de l'absence de Li Peng, a adopté cette année un profil bas, se consacrant essentiellement aux questions économiques. Le plus grand silence, enfin, continue à entourer l'armée, dont le rôle sera néanmoins décisif dans le processus de succession. Les Américains, dans le but notamment d'affiner leur analyse politique sur la Chine, ont repris à la mi-octobre leur coopération militaire avec Pékin.

Le quatrième plénum du Parti communiste s'est conclu sans prendre aucune décision sur les questions pourtant fondamentales qui préoccupent le pays dans le domaine économique et social (montée de l'inflation, du chômage, de l'insécurité.). Les dirigeants chinois rechignent apparemment à prendre des décisions qui risqueraient d'être impopulaires, dans l'attente d'une clarification de la situation politique.

Développement et stabilité

En deux ans, le tableau économique de la Chine a radicalement changé. Le pays entier s'est lancé dans une course de vitesse au développement. La Chine est le pays qui accueille le plus grand volume d'investissements internationaux (26 milliards de dollars en 1993, 30 milliards en 1994). Avec son milliard et demi d'habitants et son taux de croissance record (14,5 % en 1993, 13 % en 1994, le taux le plus élevé de la planète), la Chine émerge comme l'une des futures grandes puissances économiques mondiales. Mais ce développement effréné présente des risques importants de dérapage.