Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Yémen : la guerre de sécession

La crise politique qui a éclaté en août 1993 entre le président Ali Abdallah Saleh, originaire de l'ancien Yémen du Nord (11 millions d'habitants), et son vice-président, l'ancien dirigeant socialiste du Yémen du Sud (3 millions d'habitants) Ali Salim Al Beidh, s'étant envenimée vers la fin de l'année 1993, diverses tentatives de médiation, conduites notamment par la Jordanie et le sultanat d'Oman, permettent de parvenir à un compromis le 18 janvier 1994. Ce document, qui prévoit de moderniser l'État yéménite, de décentraliser les institutions, notamment sur le plan économique, d'unifier l'armée et de démanteler les milices, fait la part belle aux revendications des Yéménites du Sud, qui estiment être les laissés-pour-compte de l'unification de 1990. Mais la méfiance, qui n'a pas disparu, loin de là, entre les « deux Ali », retarde la signature de ce document qui devait être le point de départ de la réconciliation nationale. En fin de compte, sur l'insistance du roi Hussein de Jordanie, c'est à Amman qu'Ali Salim Al Beidh et Ali Abdallah Saleh signent finalement cet accord, en compagnie de 32 autres dirigeants politiques yéménites.

Chronologie

21 mai 1991 : les parlements du Yémen du Nord et du Yémen du Sud ratifient l'acte d'unification des deux pays. Janvier 1991 : le Yémen soutient l'Irak dans le conflit du Golfe. Avril 1992 : un nouveau code civil, fondé sur la loi islamique, est adopté, au mépris des traditions laïques d'Aden. 27 avril 1993 : les élections législatives donnent la victoire au président, nordiste, du Yémen unifié Ai Abdallah Saleh, dont le parti, le Congrès populaire général (CPG), remporte 121 des 301 sièges à pourvoir.

L'accord d'Amman, conclu le 18 janvier par le « comité du dialogue » et signé le 20 février par les dirigeants politiques, prévoit l'arrestation des auteurs d'attentats et d'assassinats politiques, la suppression des barrages militaires, le retrait des unités militaires des villes, la réorganisation des forces armées, l'élection au suffrage universel des pouvoirs locaux et la division du Yémen en provinces dotées de pouvoirs étendus, notamment dans le domaine économique.

Trois touristes français ont été enlevés pendant vingt jours, du 23 janvier au 13 février, par la tribu des Ahnoum, dans les montagnes du Nord. Leurs ravisseurs voulaient par ce geste faire pression sur le gouvernement de Sanaa pour qu'une route en construction passe par leur village, malgré l'opposition de la tribu voisine.

Clivages géopolitiques

En réalité, loin de marquer la fin de la crise, cette signature inaugure une nouvelle tension. Au lieu de regagner Sanaa, la capitale du Yémen, où plusieurs des leurs ont été assassinés, les dirigeants du Parti socialiste yéménite (PSY) entament une tournée d'explications dans les États du Golfe, restés très hostiles au président Saleh en raison de ses sympathies pro-irakiennes lors de la crise de 1990. Dans les jours qui suivent, de premières escarmouches ont lieu entre des unités nordistes et sudistes (les deux armées n'ayant pas fusionné comme prévu après l'unification). Ces incidents, de plus en plus fréquents et meurtriers, dégénèrent le 27 avril lorsqu'une bataille rangée oppose deux brigades, l'une nordiste, l'autre sudiste, toutes deux stationnées à Amran, à une soixantaine de kilomètres de la capitale. En quelques heures, les combats font plus de cent morts. Dans les jours qui suivent, les troupes nordistes prennent le dessus. C'est alors que, le 4 mai, l'aviation sudiste bombarde la capitale et plusieurs villes du Nord. Dès le lendemain, le président Saleh décrète l'état d'urgence, limoge le vice-président et le ministre de la Défense sudistes. Quinze jours avant le quatrième anniversaire de l'unité, le Yémen est déchiré par la guerre civile. En fait, cette guerre oppose surtout des militaires à d'autres militaires, même si des milices islamistes du Jihad islamique, proche du parti islamo-tribal de l'Islah, participent aux combats aux côtés des troupes gouvernementales. Le 21 mai, depuis son fief d'Aden, Ali Salim Al Beidh proclame l'indépendance de la « République démocratique du Yémen ». La sécession sudiste reçoit l'appui financier et diplomatique de la plupart des monarchies du Golfe (à l'exception du Qatar) et de l'Égypte, tandis que le président Saleh peut compter sur le soutien du Soudan, de l'Irak et de l'Iran. La guerre du Yémen réveille au sein du monde arabe les mêmes fractures que celles qui avaient suivi l'invasion du Koweït. La chute de la base d'Al Anad, début juin, ouvre aux forces gouvernementales la route d'Aden. Prudemment, Ali Salim Al Beidh se replie à Moukalla, le chef-lieu de l'Hadhramaout, la province orientale dont il est originaire, alors que se resserre l'étau nordiste autour d'Aden. Dans leur combat contre la sécession, les forces du président Saleh ont reçu l'appui des unités sudistes restées loyales à l'ancien président du Sud Yémen, Ali Nasser Mohammed. Évincé du pouvoir en 1986 lors d'une sanglante guerre civile qui a fait plus de 8 000 morts, Ali Nasser tient sa revanche contre ceux qui l'ont chassé d'Aden. Au fil des jours, l'armée loyaliste affirme de plus en plus nettement sa supériorité sur le terrain. Le 5 juillet, les forces nordistes investissent Aden, dont les défenseurs sont en fuite. Moukalla tombe quelques jours plus tard. Ali Salim Al Beidh se réfugie à Oman, d'autres dirigeants sudistes trouvent asile en Arabie Saoudite ou aux Émirats arabes unis.

Le Conseil de sécurité de l'ONU, à l'instigation de l'Arabie Saoudite, adopte à l'unanimité, le 1er juin, la résolution 904, qui exhorte les parties en conflit à reprendre les négociations et demande un cessez-le-feu immédiat, l'arrêt des fournitures d'armes et l'envoi par le secrétaire général de l'ONU d'une mission d'enquête. Celle-ci rencontre à plusieurs reprises les protagonistes du conflit sans parvenir à les faire dialoguer avant la fin de la guerre.

Tournant islamiste

Sûr de sa victoire, Ali Abdallah Saleh proclame une amnistie générale, qui ne concerne pas toutefois seize dirigeants sudistes dont Al Beidh, et offre un dialogue politique à l'opposition. Le général Saleh facilite même la reconstitution d'un PSY débarrassé de ses dirigeants les plus en vue, lui permettant de tenir suffisamment à distance les islamistes de l'Islah, qui ont joué un rôle important dans la victoire du Nord. Dans le même temps, à l'appel de l'Islah, le Parlement amende la Constitution pour faire de la charia, la loi islamique, la source unique de toute législation. À Aden, naguère réputée laïque, la mixité est désormais bannie dans les établissements scolaires et le voile est de rigueur pour les femmes. Début septembre, ce qui reste à Sanaa du PSY élit une nouvelle direction, favorable au président Saleh, et exclut peu après Ali Salim Al Beidh. Débarrassé de son rival, Ali Abdallah Saleh se fait réélire sans difficulté à la présidence début octobre.

Réunis à Abha, en Arabie Saoudite, les ministres des Affaires étrangères du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ont dénoncé les combats, dont la continuation « aurait des implications non seulement pour le Yémen mais pour les États [du CCG] qui les conduiraient à prendre les mesures appropriées vis-à-vis de celui qui ne respecte pas le cessez-le-feu [...] Il est absolument impossible que l'unité soit imposée par des méthodes militaires. [...] La poursuite de l'union est impossible sans le consentement des deux parties », poursuit le communiqué.

Chrono. : 23/01, 20/02, 5/05, 5/06, 5/07.

Olivier Da Lage